mercredi 6 mai 2020

Se trouver jolie

Source – Ismael Sanchez
Depuis quelques temps, il se passe dans mon esprit un ensemble de pensées confus quand je croise mon reflet. Des fois, je me regarde dans une glace, et je me trouve jolie. La pensée, diffuse et vague, est doublée de cette idée que je ne devrais pas m'autoriser à penser de telles choses, étant donné que mon visage ne casse quand même pas trois pattes à un canard. Alors je continue de me regarder et force est de constater que je ne suis effectivement pas particulièrement jolie. Ça passe, dirons-nous. Je me regarde encore un peu, pour stabiliser mon avis sur ma propre image, me fait un sourire comme si ça pouvait changer quelque chose à la physionomie générale de mes traits, et je me détourne, passe à autre chose.

J'ai toujours eu une drôle de relation à mon reflet. N'en ayant jamais parlé avec personne, je ne peux dire si elle est singulière, mais je me souviens que, plus jeune, je remarquais bien que les autres ne faisaient pas la même chose. La question du reflet, en fait, c'est la question du regard. Le mien, je ne le pose que rarement sur les gens, et jamais pour les regarder dans les yeux. Je marchais aussi dans la rue en regardant mes chaussures, persuadée dans mon esprit de regarder droit devant moi. À l'école primaire je me souviens que je m'adressais à mes "amis" dans la cour de récré en regardant mon reflet dans une des vitres de l'école. Ce n'était pas juste quand j'étais gênée ; c'était constant. Je ne sais pas trop quand j'ai arrêté, au collège je crois. Pourtant, malgré cette manie, j'ai eu du mal à apprivoiser mon image. Longtemps, je me suis trouvée jolie "de loin", ou dans le flou d'une vitre à double-vitrage, pourvu que mes deux reflets ne soient pas trop superposés.

La question du reflet c'est la question du regard que l'on pose sur soi. Une psychologue disait à la radio il y a quelques années que l'on ne se voit jamais dans un miroir tel que l'on est. Déjà, on se voit à l'envers, ce qui fait que notre côté droit est à la gauche de quelqu'un qui serait en face de nous. C'est ce qui fait que l'on peut avoir du mal à se reconnaître sur les photos. C'est la même chose quand on se voit de dos, ou quand on entend un enregistrement de sa voix. Le point de vue que l'on a sur nous est tronqué. D'ailleurs je me souviens du drôle d'effet que m'avait fait, il y a deux ans, de croiser mon vrai moi, en biais, par un jeu de miroirs dans une laverie. La personne que je voyais était à la fois inconnue et profondément familière. Étrangère, en somme.

Mais le regard que l'on pose sur soi n'est pas qu'une question de science optique. Je crois qu'il s'agit aussi de se voir en tout entier et non comme un tableau de Picasso. Je pense qu'aujourd'hui je suis capable de me regarder en tout entier, d'avoir une conscience profonde de ce que je suis et de ce que je peux faire avec – pour reprendre une formule d'un comédien venu faire une intervention dans notre promo cette année. Les cernes sous les yeux, constantes même quand j'ai l'impression de bien dormir ; les paupières tombantes ; le nez pas tout à fait droit ; mais aussi la bouche assez bien équilibrée, le joli sourire bien qu'un peu gingival ; le grand front bombé, et les quelques boutons qui vont avec ; les épaules un peu trop menues ou la tête un peu trop grosse, ça dépend de comment on regarde ; la taille marquée ; les mollets sensiblement plus fins que les cuisses. Je pense que si on est capable de se voir comme un tout, et pas seulement de faire une fixette sur un nez trop gros ou des yeux trop globuleux, ou une lèvre inférieure plus pulpeuse que la supérieure, et tout ce qu'on peut trouver d'autre, alors on est aussi capable de trouver l'harmonie dans cet assemblage.

Je pense aussi que la question du regard que l'on porte sur soi, c'est la question du regard que l'on porte sur les autres. Je me souviens que, dans la deuxième moitié du lycée et de plus en plus à la fac ensuite, j'étais très choquée d'entendre mes camarades se prononcer sur le niveau de beauté d'une personne qu'ils voyaient pour la première fois. Comme s'il n'y avait que ça qui comptait. Comme si ça avait une grande importance. Et les "il est BG !" ou les "elle est trop moche, elle, t'as vu !" volaient dans tous les coins de la pièce. Ridicule. Bien sûr, quand je regarde quelqu'un, je me fais aussi un avis sur son visage. Mais, plus que le visage, c'est l'expression qui m'intéresse. La pétasse n'est pas moche en elle-même : c'est l'expression qu'elle renvoie, le pli de sa bouche, le regard qu'elle lance aux autres, qui fait dire que c'est une pétasse. Le gros con n'est pas laid : le gros con a cet air buté et condescendant envers tout le monde qui le rend laid. Quand on regarde bien, la plupart des gens que l'on croise ne sont ni beaux, ni moches : ils sont d'une banalité affligeante. Un nez, un menton, des yeux, peuvent attirer l'attention. Mais les personnes véritablement belles ou véritablement laides sont rares.

Regarder les visages et non les expressions, répéter à tout bout de champ "il est beau gosse, le prof, nan ?" montre simplement à quel point une personne se préoccupe du physique. Non pas forcément qu'elle ne juge les personnes que par ce biais et ne choisit ses amis que de cette manière, mais qu'elle est en insécurité vis à vis de ça, pour des raisons qui peuvent paraître justifiées comme pas du tout. Tout est une question de regard.

Le regard que l'on porte sur soi c'est le regard que l'on porte sur les autres. Au collège, je me suis trouvée très laide, et j'accordais beaucoup d'importance au physique des gens. Quand des petits camarades venaient m'embêter dans la cour à coups de "t'es moche" je répondais d'un air blasé "je sais". Je ne pouvais que confirmer aux autres l'image qu'ils me confirmaient. Peut-être que vous ne voyez pas trop où je veux en venir mais, l'idée c'est que, puisque le regard que l'on porte sur nous est aussi le regard que l'on porte sur les autres ; le regard que l'on porte sur les autres est aussi le regard que l'on porte sur nous. Si on est capable de se voir en tout entier, en tout grand, comme un tout, et d'accepter une "banalité affligeante" (même si dit comme ça ce n'est pas très gentil), alors on est aussi capable de voir le beau, dans les traits et dans les expressions.

J'ai commencé à me regarder vraiment. Pas seulement les restes de boutons sur le front, ou les cernes, ou les paupières tombantes, ou mon nez gras à cause de ma peau mixte. Mais à me regarder vraiment. À remarquer avec amusement que mon nez n'était pas droit. Il ne l'a jamais été et je le découvre à vingt-trois ans. À remarquer les polygones que tracent mes grains de beauté. À remarquer la forme de mes oreilles. Sans les juger. Juste remarquer, comme si c'était le visage de quelqu'un d'autre sur lequel je cherchais un trait sympa à donner à un personnage de roman. J'ai commencé à m'appliquer en me regardant ce que j'applique aux autres quand je les regarde. Globalement, je me dis beaucoup moins "moi, c'est pas pareil, c'est sûr que je suis moche".

Je regarde toujours mon reflet quand je passe devant la vitre d'une boutique, ou un tramway, ou une voiture... Mais mon lien avec mon reflet, mon autre moi, ne se limite pas à croiser son regard sur du plexiglas. Je le regarde vraiment, dans un vrai miroir, quand je suis chez moi. Je pense aussi que c'est ce qui change beaucoup de choses : ne plus se croiser, se regarder.

Des fois, le plus souvent quand mes pensées vagabondent sur le paysage qui défile à l'extérieur du train, je me demande ce que ça ferait si moi j'étais le reflet et que la vraie personne se trouvait en fait de l'autre côté de la vitre. C'est bête, et sans doute faux, mais ça installe une certaine relativisation. Un peu comme la théorie des cinq secondes : imaginez que tout ce que vous connaissez, le monde, l'univers, vous, vos amis, les dinosaures, – tout ! – aient été inventés il y a cinq secondes. Ça aussi, c'est sans doute faux. Mais on ne peut pas le prouver (puisque la science et tous vos souvenirs et jusqu'à cet article ont été inventés il y a cinq secondes). Qu'est-ce que ça ferait si nous étions des reflets ?

Mon article a l'air un peu décousu mais l'idée derrière tout ça c'est que c'est une question de regard, extérieur et intérieur. Mais c'est un long chemin, et même si je me rends compte d'un premier pas, je trouve toujours que les seins ressemblent à des yeux.

Que voyez-vous quand vous regardez dans le miroir ? Êtes-vous réconcilié(e) avec votre image ?

4 commentaires:

  1. Coucou
    Cela peut paraître étrange mais quand je me vois dans le miroir j'ai du mal à réaliser que c'est moi. Je crois que je me représente plus en pensée (je réfléchis beaucoup et je pense me connaître assez bien) que physiquement. Ces derniers temps ça va mieux, j'arrive plus à me dire que c'est réellement moi dans le miroir (c'est un peu bizarre xD).
    Je pense que j'ai du mal à avoir une idée de moi parce que, quand je me regarde, je me trouve presque à chaque fois différente. C'est psychologique, les autres ne voient probablement pas cela (même si on m'a déjà dit que j'avais un beau regard ou un visage lumineux et expressif alors que justement je me sentais très bien et sereine).
    Quand j'étais petite, je me trouvais moche, enfin les autres de mon âge ne m'ont jamais fait sentir que j'étais belle. Mais maintenant, mon visage a beaucoup changé. Je ne pense pas être belle. Mais, beaucoup plus souvent qu'avant, je me sens belle. Et ça change tout ! Ce n'est pas grave si cette beauté est uniquement vue par moi car elle me fera être plus à l'aise, plus assurée. Je me promènerai sans avoir l'impression d'être une pauvre fille moche (on connait tous ces jours où on se sent une larve je crois xD). Je pense à tous ces gens qui ne sont pas beaux au sens "top model" mais qu'on remarque parce qu'ils semblent se sentir bien, s'accepter. Je ne parle pas forcément de charisme, mais juste les gens qui semblent bien avec eux. Le charme ?
    Autre astuce que j'ai parfois : je m'imagine que je suis un personnage de livre (de fantasy, tiens !) que j'aime. Je m'identifie beaucoup à certains personnages de livres (les livres ont énormément participé à qui je suis aujourd'hui !). Dans les livres, les personnages ne sont jamais laids ou moches. Ils ont différents physiques, l'assument ou non mais comme on les aime ça semble bien. Du coup je m'imagine que je suis une ensorceleuse, une elfe, une guerrière, une scribe etc. Bon, pas tout le temps, mais ça peut marcher haha.
    Voilà, un beau pavé pour répondre à ton article qui me parle beaucoup !
    Au passage, merci pour l'ajout de mon blog dans tes blogs préférés (je viens de remarquer) :)
    Bonne soirée !

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    1. Salut ! :)

      Je ne trouve pas ça du tout bizarre ! D'une part, on n'a pas trop l'habitude de se regarder, d'autre part je comprends tout à fait ce que tu ressens ! Moi aussi je réfléchis beaucoup sur moi et je pense être assez lucide sur ce que je suis et je comprends le décalage qu'il peut y avoir avec le physique. J'imagine que ça doit être un peu pareil que quand je marchais la tête penchée sur mes pieds en étant certaine de me tenir droite : on n'a pas toujours une bonne vision du physique. Donc rassure toi, je ne te trouve pas bizarre (et puis avec tout ce que je raconte ici, ça serait plutôt déplacé de ma part) !

      Un visage expressif n'est pas le contraire de serein ! Tu peux très bien avoir un visage qui exprime la sérénité ! C'est super d'avoir un visage expressif ! Qu'est-ce que tu trouves de différent à chaque fois que tu te regardes ? C'est une impression générale ou c'est un nez auquel tu ne trouves pas la même forme, etc. ?

      C'est très important la différence que tu pointes entre "être belle" et "se sentir belle" !
      Je crois que le charme est encore un tout petit peu plus nuancé, en tout cas je le ressens comme ça, mais je vois ce que tu veux dire par personnes qu'on remarque alors qu'elles n'ont pas un physique extraordinaire. Je pense que ça va avec le charme, le charisme, tout ça, même s'il y a des nuances, c'est de la même famille : la famille de l'état d'esprit ; "se sentir" belle !

      Je l'ai fait aussi ! Les vêtements aident beaucoup à ça ! Je porte des sarouels et l'été, quand je mets des espadrilles, je me fais passer pour Aladdin ! Si je porte une jupe crayon et une chemise avec tallons, j'ai l'impression d'être une working girl hyper classe ! Ça aide beaucoup de s'amuser !

      De rien ! Je viens de l'ajouter, enfin je l'ai ajouté il y a deux, trois jours mais en tout cas après la publication de l'article sur l'orientation, donc rien d'anormal à ce que tu ne remarques que maintenant ;)

      Bonne soirée à toi aussi :)

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    2. Oui, je veux dire que je me sentais sereine et que ça se reflétait sur mon visage mais que ce n'est pas souvent comme ça car généralement je me vois d'une certaine manière que je suis seule à percevoir. Plutôt une impression générale, un visage plus ou moins fin, ou plus ou moins "grossier". Parfois je me trouve trop belle et parfois j'ai l'impression que mon menton gâche mon visage (il est assez avancé). Mais globalement je m'en fous de plus en plus xD.
      Je n'ai jamais mis de sarouel mais ça a l'air confortable ! Comment te décrirais-tu ? (tu ne mets pas de photo sur ton blog et ma curiosité est aiguisée).

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    3. Je pense que voir des traits différents de cette manière est tout à fait normal et que ça reflète ton état intérieur :)
      Hmm... je ne sais pas trop ce que je pourrais dire de plus que ce que j'ai mis dans l'article... Si : je suis brune ! :)

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