vendredi 4 février 2022

Le bruit dans ma tête

Source – Kindel Media
Je ne sais pas si je vous ai déjà parlé de la bouillasse dans mon cerveau. Je ne m'en rends pas toujours compte, il faut que je me concentre et alors je me demande si je n'imagine pas tout, mais parfois ça s'éteint et alors ça fait comme quand un ordinateur arrête de ronronner : vous êtes soulagé et vous réalisez qu'un bruit que vous entendiez sans entendre vient de s'arrêter. Là, c'est pareil. Quand ça s'éteint je me dis : "ah, y avait du bruit". Sauf que ces moments-là sont assez rares. La dernière fois que ça s'est éteint, c'est parce que j'étais à moitié endormie et je sais pas pourquoi j'ai vu un Pokémon électrique faire une attaque (pour se libérer d'une corde ? je me souviens plus…) et tout à coup ça a éteint l'interrupteur de mon esprit. Je ne sais pas ce qui, dans cette image, a tout éteint, mais ça a été immédiat ! (Dommage, c'était inconscient, je ne pourrai donc pas le faire sur commande.)

Je pense que c'est la raison pour laquelle j'aime l'ASMR : ce n'est pas agressif. Et ça passe par-dessus la bouillasse dans ma tête. Je dis bouillasse parce que rien n'est clair, rien n'est organisé. Il y a mes pensées "communes" (quelle heure est-il ? je suis en retard ? Je dois faire à manger ce soir, etc.) et puis les trucs inaccessibles en dessous, qui se mélangent, qui jaillissent quand ils peuvent, avec le jeu des renvois d'idée. Il y a aussi les pensées qui jaillissent sans mots (si je me rappelle que j'ai oublié de faire quelque chose, par exemple), que derrière je vais doubler d'une pensée "poussée" ("oh ! j'ai oublié de faire ça !"). Je ne sais pas pourquoi je fais ça… peut-être pour l'attraper au vol avant qu'elle replonge dans la mélasse, emportée par autre chose ?

L'autre jour je suis allée me balader après le travail. Quand je suis descendue de ma voiture arrêtée en pleine campagne pour faire les derniers hectomètres qui me séparaient du dolmen à moitié enterré, j'ai été frappée par le silence. Un vrai silence, à peine troublé par un cri d'oiseau. Par d'arbres à tinter dans le vent. La mélodie régulière et douce de la pluie sur la voiture – à peine. Mes pas. Ma respiration. C'est tout. Les voitures au loin étaient hors de portées d'oreilles. Le village, aussi. C'était très troublant d'être plongée dans le silence si brusquement, et en même temps j'ai adoré. Mais comme c'était très troublant, je n'ai pas su en profiter et j'ai beaucoup parlé toute seule (je parle beaucoup toute seule de toute façon). Normalement, il fait beau demain, et je sors. J'espère que ce sera aussi silencieux. C'était très bizarre, ce silence, parce que j'avais l'impression que ça calmait aussi mon bruit intérieur. Comme si, sans prise à laquelle s'accrocher, sans adversaire contre lequel lutter, il murmurait au lieu de brailler, que ça le laissait comme échoué sur une plage ou quelque chose comme ça, mais c'était une impression assez confuse et peut-être que je la reconstitue trop a posteriori.

C'est là que je me suis rendue compte qu'il n'y a jamais le silence autour de moi. Déjà, je vis dans un appartement dans un vieil immeuble mal isolé, alors j'entends l'aspirateur des gens du dessus, la musique lors des teufs fait trembler mon matelas. J'entends les bruits de pas sur le plafond, la télé, les gens qui gueulent… Puis j'ai mes propres bruits quand je cuisine, quand j'écris et que je mets de la musique, quand je parle toute seule… Au boulot, il y a les discussions, les bruits dans les couloirs, le souffle des ordinateurs et des machines qui brassent l'air pour qu'il ne fasse pas trop chaud à cause des ordinateurs (je crois que c'est des humidificateurs mais je ne pourrais pas le jurer). Et la musique.

Ben oui, je bosse dans une radio. Dans l'émission que j'anime, je passe de la musique. Il faut savoir que je ne suis pas du tout musique. J'en écoute pour écrire mais toujours sans paroles, et à part ça j'en écoute très peu. Je suis plutôt une boulimique-monomaniaque : je vais écouter une chanson en boucle pendant plusieurs heures d'affilées, entre trois jours et deux semaines, et après je vais juste passer à autre chose. La dernière, c'était Alexandre Bertet, Elle dit. C'était quand elle est sortie, donc en décembre, je crois. Depuis je n'écoute de la musique que pour écrire. Et quand je suis à l'antenne. Le problème, c'est qu'après je les entends dans ma tête. C'est pas comme avoir une chanson dans la tête, c'est plus… ça chante dans ma tête. En arrière-plan. Comme si je l'écoutais : ça chante tout seul, en boucle. Et la plupart du temps c'est quand ça s'arrête que je m'en rends vraiment compte (ou quand le concert dure depuis longtemps et me tape sur le système). Je pense que l'ASMR me permet aussi d'éteindre ça, de donner du son à mon cerveau pour qu'il me laisse tranquille. Surtout que ce sont des chansons que je n'aime pas forcément… Elles sont là, c'est tout. Et elles s'ajoutent au bruit dans ma tête.

Ce qui s'ajoute au bruit dans ma tête c'est les voix des gens, aussi. Des fois, mes pensées se formulent dans la voix des autres, avec leur phrasé et parfois jusqu'à leur vocabulaire. Au début de ma prise de poste ma collègue en Service Civique n'était pas là, donc je ne voyais que mon chef tous les jours, parfois des bénévoles de la radio. Et mes pensées étaient souvent avec la voix de mon chef, en fin de journée surtout. Insupportable. Une impression de ne pas pouvoir lâcher-prise et d'être ensuquée. Ça me le fait un peu moins maintenant, mais des fois ça revient. Ça m'a toujours fait ça : si je regarde un animé un peu trop longtemps, je finis par penser avec la voix des personnages. Ou quand j'étais ado, je regardais tellement Shaman King, que j'avais les voix de tous les personnages bien en tête. Je suis assez sensible aux sons et assez souvent quand j'écoute un dessin animé j'arrive à reconnaître les voix que j'ai déjà entendues. Parfois ça ne tient qu'à une toute petite intonation sur un mot, quand l'acteur a modifié un peu sa voix.

Avoir les voix des personnages dans la tête, ça ne me gêne pas, parce que par exemple dans le cas de Shaman King j'adooore la voix de Ren ; et puis aussi parce que je sais que ça va arriver. Si je passe ma journée devant une série, je sais que fatalement je vais penser dans une autre voix que la mienne, donc je suis prête. Je n'aime pas quand ça me prend par surprise, quand ce sont des voix que je n'aime pas, ou de gens que je connais, parce que j'ai comme une impression d'intrusion et de perdre une maîtrise (alors que la voix des personnages de manga, c'est moi qui la maîtrise, en quelques sortes).

En ce moment, il y a trop de musiques dans ma tête. Du coup, aujourd'hui, j'ai enlevé mon casque et coupé les haut-parleurs quand j'ai passé de la musique dans l'émission, pour essayer de me couper de ça, de ne pas me laisser ensuquer. Ça chante tout seul, en boucle, ça m'énerve.

Du coup, pour dormir la nuit c'est un peu compliqué. Mes pensées sautent d'un sujet à l'autre et au bout d'un moment je me demande : "je pensais à quoi, déjà ?" et j'essaye de revenir au sujet sur lequel je voulais travailler puis mes pensées font des sauts, s'effilochent comme des branches et à la fin je ne sais plus pourquoi je pense à ça et à quel moment j'ai quitté ma ligne de pensée. Et ça tourne et ça tourne et ça tourne. J'avais des méditations et des hypnoses sur mon téléphone mais ça ne marche pas toujours et aussi comme j'aime pas l'idée d'abimer ma tête je suis stressée à cause des ondes. Alors j'ai acheté une boîte Morphée. C'est une tuerie, ce truc. Ça marche pas si je suis trop angoissée, mais en une semaine ce n'est arrivé qu'une fois. Franchement, je ne pensais pas être capable de m'endormir en vingt minutes…! Mais par contre ça n'éteint pas le bruit : ça le bride, c'est tout. Du coup je me demande si je ne fais pas plus de mal que de bien en empêchant mon cerveau de penser aux trucs auxquels il veut penser ? Moi, je veux juste dormir, et j'ai l'impression de faire des rêves moins glauques, mais je m'en "veux" un peu de ne pas laisser mon cerveau trier ses idées (en même temps, c'est moins du tri que des ruminations, alors bon…).

J'ai envoyé un mail à une nouvelle psy, comme je suis toujours sur liste d'attente de l'autre. Le problème c'est qu'il n'y a pas beaucoup de psy femme dans le coin…