mercredi 17 août 2022

Relations fictives

Source – Maria Tyutina
Il y a quelque chose qu'a dit la psy qui revient souvent dans mes réflexions. Je lui ai parlé de cette amie que j'ai rencontrée sur le forum et avec qui nous discutons depuis maintenant plus d'un an. Nous avons quitté le forum pour Twitter, puis nous sommes passées à Whatsapp. Nous ne nous sommes jamais rencontrées parce que nous n'en avons pas eu l'occasion et, maintenant, elle est loin. Nous nous sommes eu au téléphone, mais jamais vues. La psy a parlé de relation fictive. Je n'ai pas aimé le terme, alors je me suis un peu fermée, j'ai essayé de me défendre, de dire qu'on s'est eues au téléphone. Je n'ai pas demandé ce qu'est une relation fictive, et internet n'est pas très bavard sur le sujet.

L'autre jour, je m'ennuyais. J'ai accepté l'ennui, je suis allée m'allonger dans mon lit j'ai laissé mes pensées divaguer un peu comme elles voulaient. Et j'ai réalisé qu'en fait, je n'ai que des relations fictives. Il me reste deux amies de fac, mais nous parlons par SMS ou téléphone, nous nous voyons peu : sont-elles devenues des relations fictives ? J'échange des mails et des messages privés à divers degré d'intimité avec une poignée de personnes, qui sont des relations fictives. Je lis des blogs, je parle à des blogueuses, aux commentatrices de mon propre blog, et ce sont des relations fictives. J'ai dans la tête mes fantasmes, ceux qui me font rencontrer un garçon, bien sûr, qui donnent lieu à une vie parfaite puisque contrôlée, et c'est une relation fictive. Un peu plus jeune, quand je marchais dans la rue, ça m'arrivais d'imaginer un chien à côté de moi. Parfois une personne, mais davantage dans l'intimité de la maison. Jamais très longtemps, juste une paire de minutes. Et puis j'ai mes personnages de roman aussi, ceux dont l'histoire est en cours d'écriture ou pas encore écrite. Ils sont fictifs.

En guise de vrais humains, je ne vois que mon chef, et ma collègue. La boulangère quand j'achète le pain. La fromagère et le maraîcher au marché. C'est tout. Ce sont des relations superficielles, juste le temps d'un bonjour et d'un sourire. Un sourire, cela fait beaucoup, mais ça ne fait pas tout.

Ce n'est pas tant de découvrir que je n'ai que des relations fictives, qui me dérange, que ce qu'il en résulte. Si toutes les personnes auxquelles je parle n'existent pas dans le sens où elles ne font pas vraiment partie de ma vie, il en résulte que je suis moi-même une relation fictive pour ces personnes. Du coup, c'est un peu comme si je n'existais pas vraiment ? Ma vie n'a pas davantage de retombées qu'une série télé ? D'un autre côté, j'avais lu que, quand on voit un smiley, on le ressent comme un vrai sourire (parce que le cerveau est con), et les émotions provoquées par une discussion réelle avec une personne sur internet sont réelles, elles aussi. Donc si les émotions sont réelles, alors il existe quelque chose ? Et si je provoque moi aussi des émotions et des sentiments réels alors je suis réelle ? C'est une question bête : je suis réelle, puisque je me vois, me sens, me touche, m'entends, me palpe et m'ausculte. C'est une question philosophique, et en même temps une vraie question. Comment sait-on, si on est réel ?

En fait, je ne sais pas trop comment me débattre avec cette notion de relation fictive. J'aurais mieux fait de ravaler ma fierté – ou ma peur ; celle de ne pas avoir la vraie amie, la vraie personne à qui me confier, que je pensais avoir trouvée – et demander franchement à la psy ce que c'est, exactement, une relation fictive. Je la vois dans pas longtemps, mais ce n'est pas de ça dont je voudrai parler à ce moment-là. Il y a un peu plus urgent, avec mon corps. De toute manière, tous les problèmes sont liés, c'est un gros sac de nœuds : tirez sur un bout et vous agissez sur l'autre côté.

J'ai trouvé sur un site une jeune personne d'à peu près mon âge qui imagine une vie future, elle aussi. Une des psy qui a répondu a dit que c'était un mécanisme de défense. Je sais bien. J'ai toujours fait ça. le soir dans mon lit, mais aussi bien éveillée, au lycée, quand je voyais tous les autres autour de moi avec leurs amis et que j'étais toute seule parce que je n'avais pas su me faire aimer, ou intéresser, ou je ne sais pas. Je ne sais pas trop me lier aux gens et rencontrer des gens. Je sais bien, que c'est un mécanisme de défense, un refuge, un petit endroit où tout se passe bien pour échapper à la réalité un peu fade, imparfaite, trop difficile à démêler. Et plus ça va, plus je m'y enferme, je crois.

C'est un peu dur, de se dire que les relations sont fictives. Si elles sont fictives, elles sont fausses, imaginées. Si elles sont imaginées, elles n'existent pas vraiment. Et donc, si elles n'existent pas vraiment, tous ces amis que je crois déjà avoir ou pouvoir me faire ne sont que des spectres. C'est drôle, d'ailleurs, il y a deux membres du forum avec qui je me dis que l'on s'entendrait sans doute bien, mais maintenant je me répète : "calme-toi Énir, ce sont des relations fictives".

Je trouve plus facile de rencontrer des gens sur internet. Plus facile de dire des choses un peu intimes, puisque personne ne nous regarde. J'ai balancé ici que je suis vierge, je l'ai balancé sur le forum aussi, à titre d'exemple à quelque chose que j'expliquais, mais je ne le dirais jamais devant un amphithéâtre de gens qui me regardent et m'écoutent. C'est plus facile sur internet, parce que l'on ne voit pas les gens. On parle à tout le monde et personne à la fois. Au final, on se parle beaucoup à soi-même. Les gens nous jugent mais on ne sait pas toujours ce qu'ils pensent. La plupart du temps, d'ailleurs. C'est plus facile d'aller tout de suite dans les sujets intimes, et donc on se lie aux gens plus vite. Parce que de toute façon, même s'ils trahissent l'espèce de confiance que l'on met en eux, à qui vont-ils répéter toutes ces choses ? À des gens que l'on ne connaît pas et qui ne nous connaissent pas. Ce sera : "une fille sur un forum a dit que". Une fille sur un forum pourrait très bien être un monsieur qui a coché la case "femme". Ou une vieille dame qui s'est rajeunie. Après tout.

Mon amie m'a dit ça, d'ailleurs ; heureusement que je ne connaissais personne de son entourage, parce que ce serait vraiment très gênant. Je me le dis parfois aussi. Mais si la confiance est protégée d'un filet de sécurité, est-ce de la vraie pure confiance ?

Alors voilà, je suis en relation avec de la fiction, avec toutes les projections que je fais pour protéger mon ego, mon moi ou je-ne-sais-quoi, pour fuir, parce que la fuite, c'est bien. Des fois, j'imagine ce que ça ferait si les gens avec lesquels on parle sur internet ne sont en fait que des algorithmes. Ce serait un chouette scénario de dystopie.

mardi 9 août 2022

Mes 5 derniers livres lus (n°10)

Je n'ai pas publié un article littéraire depuis cinq mois tout pile ! :O Je dois dire que ça m'a manqué ! J'ai fini par rattraper mes quatorze numéros de National Geographic et j'ai pu m'attaquer de nouveau à ma pile à lire ! J'espère pouvoir publier le prochain article littéraire dans un mois :)


Contes d'Asie mineure
– Calliopi Moussaiou-Bouyoukou (collecteur)


Il y a longtemps, dans les villages grecs d’Asie Mineure, perdus dans le vaste territoire de l’Empire ottoman, naissaient des contes. Issus de légendes encore plus anciennes, nourris aux deux traditions orientale et occidentale, ils ont voyagé de bouche à oreille pendant des siècles avant d’être retranscrits pour la première fois, dans les années cinquante, par Calliopi Moussaiou-Bouyoukou, qui les a recueillis auprès des rares aèdes encore en vie. Dures et tendres, crues et merveilleuses, pures et païennes, ces histoires insolites mêlent féerie et cauchemar, surnaturel et quotidien.

Ce sont des contes hybrides, très étranges dans cette hybridité. On retrouve des motifs répandus dans les contes kabyles (avec les ogres, notamment), une logique parfois orientale, proche des Mille et Une Nuits ou des contes d'Égypte ; et à la fois des motifs de nos contes occidentaux (comme le jeune homme porté par un ou des oiseaux, qui doit leur donner des morceaux de viande pour qu'ils aient l'énergie nécessaire à arriver au bout et qui, à court de nourriture, donne finalement un morceau de son propre corps). Ça fait un résultat bizarre. J'ai eu l'impression d'être un peu le cul entre deux chaises tout du long ; les motifs se mélangent, se versent les uns dans les autres.

J'ai apprécié ma lecture et il y a un notamment un conte que j'ai particulièrement aimé. Mais ils ne détrôneront pas les Mille et Une Nuits !


L'Âme de l'Empereur
– Brandon Sanderson


La jeune Shai a été arrêtée alors qu’elle tentait de voler le Sceptre de Lune de l’Empereur. Mais au lieu d’être exécutée, ses geôliers concluent avec elle un marché : l’Empereur, resté inconscient après une tentative d’assassinat ratée, a besoin d’une nouvelle âme. Or, Shai est une jeune Forgeuse, une étrangère qui possède la capacité magique de modifier le passé d’un objet, et donc d’altérer le présent. Le destin de l’Empire repose sur une tâche impossible : comment forger le simulacre d’une âme qui serait meilleur que l’âme elle-même ? Shai doit agir vite si elle veut échapper au complot néfaste de ceux qui l’ont capturée.

Je cherchais un one-shot parce que c'est ce que je préfère lire actuellement. Dès les premières lignes j'ai su que j'allais aimer et, effectivement, j'ai aimé ! C'est très bien écrit, très bien rythmé. Le système de magie, ces tampons qui permettent de modifier l'histoire des objets (ou des âmes) est très pointu est très intéressant ! C'est un système de magie que j'aurais adoré inventer ! Même si on suit la plupart du temps le point de vue de Shai, on devine comme les autres personnages sont très bien construits. La toute fin de l'épilogue, avec Gaotona, est très intelligent, parce qu'il permet de montrer aussi l'évolution de ce personnage. J'ai aimé que la fin soit positive (c'est mon côté petit cœur fragile (surtout qu'en ce moment je dors pas et quand je dors pas je vois tout en noir alors une histoire triste m'aurait jetée par terre)).

J'ai beaucoup aimé cette petite histoire ! Ça se lit très vite et très bien. Le côté fantasy n'est pas trop présent. L'auteur mentionne des peuples que l'on ne connaît pas, dans un univers inspiré de l'Asie antique, mais, en dehors de l'aspect magique, ça pourrait être un roman historique. Tout ça pour dire que c'est un roman qui peut se lire même quand on n'apprécie pas la fantasy a priori parce qu'il n'y a pas de dragons, d'elfes, de boules de feu ni rien du tout ! Foncez !


Des animaux et des pharaons
– Hélène Guichard (dir.)


Les formes animales qui s’épanouissent dans l’art de l’Égypte ancienne sont le fruit d’une observation minutieuse de l’environnement. Cette connaissance a conduit les Égyptiens à faire de certains animaux des entités porteuses de sens, permettant de mieux appréhender l’incompréhensible, c’est-à-dire tout ce qui relève du divin ou de la métaphysique.

Me procurer ce livre n'a pas été une mince affaire ! C'est le catalogue d'une exposition qui s'est déroulée fin-2014 début-2015 et bien sûr il n'est plus édité aujourd'hui. Sur les différents site d'occasion il est côté à une centaine d'euros, autant dire que je ne suis pas passée par-là ! J'ai fait une veille sur Leboncoin par acquis de conscience et je l'ai eu à trente euros. Avec les frais de port, ça me revenait quasiment au prix de vente d'il y a sept ans, mais c'était mieux que l'autre particulier qui me dit : "je vous le laisse pour 70". Euh… non. Bref !

J'ai adoré ! Je m'intéresse à l'Égypte antique depuis que je suis gamine, alors forcément…

Le livre est organisé en plusieurs thématiques qui brossent les conceptions et les considérations des anciens Égyptiens pour les animaux. En quelques pages la thématique nous est présentée, puis ensuite divers objets (de culte, du quotidien, etc.) sont présentés à leur tour dans de courts textes. La plupart du temps, c'est très clair (parfois un jargon pas trop expliqué, c'est dommage) même si certains contributeurs sont plus pédagogues que d'autres. J'ai trouvé dommage par contre que dans les annexes les pages réservées à la restauration ne rentrent pas plus dans le détail de la restauration et que ça soit davantage une page de remerciements aux restaurateurs. C'était l'occasion de mettre ce sujet en avant !

J'ai regretté aussi qu'il n'y ait pas de frise chronologique pour remettre les époques dans l'ordre (Basse Époque, période intermédiaire, etc.) ; je trouve que ça aurait été bien pratique, et ils l'avaient d'ailleurs fait dans le catalogue de la dernière expo sur Toutankhamon.


Le Dragon de Lune
– Vladimir Bogoraz


Dans la nuit froide et muette, les Anaki affamés attendent l’arrivée des « Visages Gris », les rennes venus des montagnes. Mais aucun sabot ne foule le sentier qui se perd sous les étoiles. La tribu se meurt, et ses prières restent sans réponse. Le chaman Youn le Noir se décide alors à s’adresser au dernier des dieux, celui qui engloutit la Soleil avant de la vomir, le redoutable Dragon de Lune. Mais son appel ne sera pas sans conséquences… car bientôt il exigera des sacrifices. Qui oserait braver ce dieu de minuit, sinon un homme sans foi, qui ne croit qu’en sa lance et son bras ?

Bon, moi, vous me parlez d'un dragon, donc, forcément, je prends ! :D Au final, le dragon n'apparaît pas beaucoup et Youn n'est pas le personnage principal comme on peut s'y attendre – pas plus que Yarri, l'homme sans foi du résumé, d'ailleurs. Je crois que, finalement, le personnage principal, c'est la tribu tout entière.

Les choses se mettent en place tout doucement, la fin arrive vite mais n'est pas précipitée. Le Dragon attend tout de même presque un an avant de réclamer ses sacrifices en compensation de l'aide apportée aux Anaki. Mais tout s'enchaîne, très fluide.

Au tout début, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire, dans la plume, qui est poétique mais que je trouvais parfois un peu obscure. Et puis finalement j'ai pris le pli et ça a coulé tout seul !

L'histoire se déroule au Paléolithique, c'est ce qu'explique l'auteur à la fin. C'est très étrange parce qu'à la fois on le sent, avec les outils en silex, la mention du mammouth, leur mode de vie… et à la fois ce pourrait tout aussi bien être un monde tout à fait imaginaire, une espèce de songe. D'ailleurs, voilà, par certains aspects, ce roman mêle l'opacité du songe et la clarté du conte. Conte aussi par sa base même, car Vladimir Bogoraz reprend le motif du jeune homme qui souhaite sauver la jeune fille offerte au dragon. Il a laissé la fin ouverte exprès. C'est un peu frustrant mais en même temps il y a une prise pour ceux qui voudront voir – comme moi ! <3 – une fin heureuse.

J'ai bien aimé, j'ai par contre regretté qu'il n'y ait pas plus d'illustrations. Mais en même temps ça permet aussi de se faire les siennes ! J'ai aussi regretté que ne soit pas expliqué la raison pour laquelle l'un des personnages parle de "la" lune alors que tous les autres mettent la lune au masculin (qui, ça, est expliqué : c'est réellement comme ça dans certaines cultures de Sibérie).


Voyage au centre de la Terre
– Jules Verne


Dans la petite maison du vieux quartier de Hambourg où Axel, jeune homme assez timoré, travaille avec son oncle, l’irascible professeur Lidenbrock, géologue et minéralogiste, dont il aime la pupille, la charmante Graüben, l’ordre des choses est soudain bouleversé.
Dans un vieux manuscrit, Lidenbrock trouve un cryptogramme. Arne Saknussemm, célèbre savant islandais du XVIème siècle, y révèle que par la cheminée du cratère du Sneffels, volcan éteint d’Islande, il a pénétré jusqu’au centre de la Terre !
Lidenbrock s’enflamme aussitôt et part avec Axel pour l’Islande où, accompagnés du guide Hans, aussi flegmatique que son maître est bouillant, ils s’engouffrent dans les mystérieuses profondeurs du volcan…

Ce n'est pas mon préféré de Jules Verne, mais j'ai apprécié ma lecture, je crois ! En fait, j'ai eu du mal à m'accrocher à l'histoire parce que ma suspension de l'incrédulité (c'est-à-dire le mécanisme qui fait qu'un spectateur ou un lecteur accepte de croire) ne s'est pas bien faite. Je ne sais pas trop pourquoi. Pourtant, ce voyage au centre de la Terre n'est pas plus dingue que celui autour de la lune, mais je ne sais pas, quelque chose ne s'est pas débloqué dans mon esprit.

Je crois que ça ne tient pas tant aux grandes choses de la science qu'aux petites. Par exemple, ils percent une muraille de granit pour accéder à l'eau de l'autre côté : l'eau jaillit dans leur couloir, ils devraient barboter, peut-être, mais ils dorment là tranquillement (seul un petit ruisseau s'est formé dans le couloir). Ou bien Jules Verne nous présente une partie du "journal de bord", au moment de la traversée, comme s'il avait été écrit sur l'instant par le personnage (et c'est d'ailleurs au présent), ce qu'il n'a pas pu faire sous le déluge… Et ils auraient dû, en remontant dans le cratère du volcan, bien davantage souffrir de la chaleur ! Quant au radeau… n'aurait-il pas dû être détruit ? Ce sont toutes ces petites choses qui ont fait que, finalement, plus j'avançais et moins j'arrivais à me plonger dedans.

Ça reste quand même une lecture sympa, et j'ai bien aimé qu'Axel soit un personnage terrifié, tant on trouve plutôt chez Jules Verne des personnages sans peur prêts à tout affronter. Les personnages sont bien faits, comme d'habitude, et le professeur Lidenbrock est effrayant dans le réalisme de son sale caractère, buté comme pas deux.

Mon roman préféré de Jules Verne restera pour le moment Les Aventures du capitaine Hatteras, je crois !