jeudi 24 octobre 2019

J'ai testé les serviettes lavables et autres considérations sur les règles


Titre long mais en même temps je ne me voyais pas juste parler des serviettes lavables et que vous arriviez sur un article hyper long par surprise. Mais comme je sais que les articles longs ne sont pas très bien sur internet parce que personne ne lit, j'ai décidé de vous simplifier la tâche en vous faisant un sommaire cliquable, comme ça vous pouvez aller sur les parties que vous voulez, dans l'ordre que vous voulez, ou même en zapper carrément certaines (je ne serai pas vexée, promis-juré-craché !).

Pour tout vous dire, à la base, je voulais seulement parler de serviettes lavables. Mais une pensée est née dans ma caboche – pas du même genre que celle de 4h du mat' quand je me demande si, en proportion, les girafes fabriquent autant de sang que nous dans une journée (véridique xP). Je me souviens, quand j'étais en Licence, avoir demandé à mon professeur d'Histoire moderne comment les femmes faisaient quand elles avaient leurs règles. Réponse : des chiffons. Donc, en songeant aux serviettes lavables, je me suis fait la réflexion que, avec ce genre de protection, nous revenions à ce que l'on faisait avant. Et, de là, j'ai mené des recherches. Et, de là, je me suis éloignée de mon sujet principal. Et, de là, je me retrouve obligée de vous faire un sommaire cliquable... ahem. [Edit : il ne fonctionne pas, je travaille dessus].

♦ Peur des règles, tabous modernes, et super-pouvoirs
     • Crainte ancestrale...
     • ...tabous d'aujourd'hui
♦ Les protections hygiéniques avant les serviettes jetables
♦ J'ai testé les serviettes lavables
     • Mes règles et moi
     • Mon expérience avec les serviettes lavables
♦ Biblio

Donc, en résumé : j'ai cherché comment on faisait avant, puis de fil en aiguille je suis tombée sur des recherches de scientifiques sur la considération des règles. Si ça ne vous intéresse pas, vous pouvez sauter ces parties (je ne vous en tiendrai pas rigueur, promis-juré-craché !). Comme d'habitude dans ce genre d'article, ma bibliographie sera à la fin (si vous n'avez pas accès à certains articles sur Cairn, je pourrais vous filer un coup de main, mais en principe tout est accessible).


Peur des règles, tabous modernes, et super-pouvoirs


Crainte ancestrale...


Dans beaucoup de cultures et beaucoup d'époques un petit peu partout autour de la planète, le sang des règles n'était pas bien vu. Je me souviens en Licence qu'une prof d'Histoire contemporaine (prof géniale, soit dit en passant) nous avait expliqué que les hommes versent le sang en combat ou à la chasse et que ça fait d'eux des guerriers et grosso modo les protecteurs de la communauté. Tandis que les femmes versent du sang toutes seules et que c'est ce qui contribue à les placer toujours dans la famille, la maison, le soin des autres, etc.

À Babylone, par exemple, on pense que les femmes réglées contaminent et détruisent tout ce qu'elles touchent, et dans la loi d'Hammourabi les rapports sexuels avec une femme en période de menstruation coûtaient la vie. Au Moyen-âge il est considéré comme un pêché de rentrer dans une église quand on a ses règles. On pense que les vapeurs du sang sont la cause de lésions mentales telles les amnésies ou la stupidité. On pense aussi qu'il peut faire tomber malade voire tuer (si on se baigne dedans, par exemple – ce qui est quand même une drôle d'idée). Mais le sang des menstruations n'est pas le seul à être vu comme un poison à cette époque : c'est aussi le cas du sang des hommes roux et des lépreux.

Que le sang menstruel puisse tuer si on se baigne dedans ou faire faner les fleurs, ce sont de drôles de croyances mais, quand même, ma préférée, c'est quelque chose qui est rapporté par Pline l'Ancien (†79) : "les averses de grêles, les tornades de vent s'écartent si le fluide menstruel est exposé à un éclair et les tempêtes ne s'approchent pas. Si la menstruation coïncide avec une éclipse de lune ou de soleil, les dégâts sont irrémédiables". Personnellement, je sais pas vous, mais j'ignorais que j'avais ce genre de pouvoirs magiques...

Cette peur viendrait du fait que l'on ne savait pas ce qui causait les règles – même si les hindous savaient déjà que ça venait de l'utérus – mais aussi du fait que les religions sont passées par-là (on y vient) (je tease pour vous tenir en allène ! :P)

...tabous d'aujourd'hui


On a beau dire que les règles ne sont pas sales, ce n'est pas toujours aussi simple, et ce leitmotiv n'est pas aussi vieux qu'on pourrait le croire. Par exemple, il y a quelques jours, j'étais sur le stand d'un festival et une jeune femme est venue nous demander, gênée et à voix basse de crainte d'être entendue par la gent masculine, si nous n'avions pas des serviettes. Alors que bon, dans les faits, on s'en fiche s'ils entendent, après tout si leur mère n'avait pas eu ses règles ils ne seraient pas nés... mais en fait ben... ce n'est pas si facile.

Aurélia Mardon s'est penchée sur les premières règles des adolescentes. J'émets une petite réserve sur certaines choses qu'elle dit mais sa recherche est intéressante. Ce qui ressort des enquêtes c'est que les adolescentes qui n'avaient pas été informées des règles au préalable vivent très mal leur apparition et les considèrent comme de la saleté (j'imagine sans mal les problèmes que ça cause dans la construction de son identité et du rapport à son corps). Ce qui ressort aussi c'est que c'est une marque de maturité, de féminité, mais que cette conception ne fait pas oublier l'aspect négatif et notamment le fait qu'il faille se dissimuler.

C'est un peu là que je ne suis pas tout à fait d'accord dans la mesure où, oui, on dissimule ses règles – enfin moi en tout cas je n'aime pas quand on sait que je les ai – mais je pense que ce n'est pas que une question de souillure ou de quoi que ce soit dans le genre : c'est aussi que c'est intime et que le monde entier n'a pas à savoir que je me vide de mon sang tel ou tel jour de l'année...

Dans les traités éducatifs sur l'adolescence on remarque qu'il est toujours demandé de cacher ses règles, éviter les traces et les odeurs, et de laisser traîner ses protections, cela par "savoir-vivre" et "respect vis-à-vis d'autrui". Une mère disait dans un entretien qu'elle répétait à sa fille de ne pas laisser de trace de son passage dans la salle de bain parce que "en plus il y a son frère" : les règles doivent être dissimulées aux hommes. Et c'est ainsi que l'on peut répondre à une remarque faite par commentaire sur le dernier article de Yatuu et qui s'étonnait : "ca ne devrait meme pas etre un sujet tabou car quad t adulte genre ben tu sais que les femmes les ont". Oui, on sait. Mais ça reste mystérieux, un "truc de gonzesse" dont on ne sait rien à part qu'elles sont là. Et j'en veux pour preuve que, à la télé, les règles sont bleues ! Drôle d'idée !...

Mais surtout, c'est oublier qu'encore aujourd'hui, par exemple au Népal, des femmes sont rejetées dans des granges lors de leurs règles, car elles sont alors considérées comme impures. National Geographic y avait consacré un article dans un numéro il y a quelques années


Les protections hygiéniques avant les serviettes jetables



À Babylone, en Égypte, et en Grèce antique on insérait des protections hygiéniques dans le vagin. Tout cela a été arrêté par les grandes religions qui considéraient cela comme un pêché. De là, la réponse de mon prof d'Histoire moderne sur le fait que l'on utilisait des chiffons. La journaliste Renée Greusard a écrit un article sur le sujet pour le Nouvel Obs et raconte que la grand-mère d'une de ses amies utilisait des linges cuits dans des grandes marmites pour les laver et étendus à la vue de tous. Pas terrible pour l'intimité, quand même.

Vers la fin du XIXème on passe à des choses un peu plus pratique : un linge tenu par une ceinture en caoutchouc (qui a quand même un peu des allures d'instrument de torture). En 1929 on commence à inventer le tampon, mais il ne rencontre pas de succès. En 1920 la première serviette hygiénique lavable est inventée. Il faut attendre 1963 pour que les premières versions jetables soient commercialisées en France. Dix ans plus tard apparaît la bande adhésive sur ces serviettes, et les rabats en 1991 seulement !

J'ai beaucoup résumé mes recherches, donc je vous invite à farfouiller dans ma bibliographie et notamment la deuxième entrée ! ;)


J'ai testé les serviettes lavables


Mes règles et moi


Bon, d'abord, mes règles et moi, on n'a pas toujours été sur la même longueur d'onde, c'est le moins qu'on puisse dire. Ça a mal commencé : je déteste les avoir. Je n'ai aucun souvenir de mes premières règles à part une image vague d'un crachotement à la couleur incertaine, et aucune idée de ce que j'ai pu penser ou ressentir à ce moment-là. Je déteste avoir mes règles et pourtant j'aime le sang, joli paradoxe que celui-là. Je déteste avoir mes règles, alors même qu'elle ne sont ni particulièrement abondantes, ni particulièrement douloureuses. Leur seul vrai défaut est qu'elles ne tombent jamais le même jour et toujours sans prévenir (merci bien). Donc mon sentiment un peu négatif a été renforcé par le fait que c'était à chaque fois une surprise, mauvaise et regrettable.

Les serviettes, ça m'a vite saoulée, déjà ça coûte son prix, en plus maintenant ils mettent du parfum, c'est affreux (merci Vania qui ne le fait pas sur tous ses modèles) et surtout stupide... qui mettrait du parfum sur une partie du corps aussi sensible ?! Puis on n'en a franchement pas besoin... Bref. À un moment donné je suis passée à la coupe menstruelle. Modèle pas adapté ou nullité de ma part, je n'ai jamais réussi à la mettre correctement sans que ça finisse par me faire mal, en dépit de toute ma bonne volonté et de mes contorsions dans les diverses positions conseillées pour l'insérer. J'ai fini par en avoir mare, j'ai dit merde et j'ai repris mes serviettes jetables. Sauf que.

Sauf que moi, depuis un numéro assez récent de National Geographic sur le plastique, j'ai décidé de réduire drastiquement ma consommation de plastique. Or, les serviettes jetable, c'est bien gentil, mais ça fait beaucoup de déchets sur Terre pour une seule personne. Donc j'ai commencé à m'intéresser aux serviettes lavables.

Mon expérience avec les serviettes lavables


Je me suis tournée vers la marque Hannahpad, à l'instinct et en profitant d'une offre découverte : vous achetez une serviette et les frais de port sont offerts. J'ai tenté le coup avec un peu d'appréhension vu qu'elles sont quand même assez chères et que j'avais un peu peur que la qualité ne soit pas au rendez-vous. Appréhension balayée à l'ouverture du paquet.

C'est un très beau produit. Je trouve que ce n'est pas forcément dit dans les articles de blogueuses que j'ai pu lire, mais c'est un très beau produit. Par exemple les petits machins qui servent à ce que les serviettes adhèrent à la culotte sont disposées en forme de petites fleurs. Alors oui, en vrai, on s'en tamponne carrément, parce que de toute façon personne ne le voit, mais dans les faits ça participe à cette impression de beau produit, fignolé et bien foutu. Je ne sais pas quelle marge se fait Hannahpad, s'ils pourraient nous les vendre sept euros et gagner leur vie, et s'ils nous arnaquent sur le prix, mais en tout cas je n'ai pas été déçue d'avoir mis ce prix-là (18 euros) quand j'ai ouvert le paquet.

Non-déception qui s'est confirmée à l'usage : ça ne bouge pas ! du tout ! Les petites fleurs adhérantes et les rabats avec bouton-pression suffisent à ce que ça tienne. Mon test étant concluant j'ai pris un coffret et j'ai donc pu tester sur la longueur, dont la nuit. Il faut savoir que je bouge pas mal dans mon sommeil et que les jambes sont la partie que je bouge le plus. Du coup j'avais l'habitude de serviettes qui se décrochent, se plient, et à me retrouver le matin à en avoir foutu partout. Le miracle s'est produit : les serviettes Hannahpad tiennent pendant mes nuits. Donc, pas de problèmes de ce côté-là. Je suis un peu frustrée de ne pas avoir pu les tester pendant mes séances de sport, mon emploi du temps universitaire actuel ne me l'ayant pas permis (merci les réunions à 20h...).

Mon premier passage aux toilettes après avoir portée ma serviette de test pendant quelques temps a été un peu surprenant. Déjà, ça sent le sang. Normal, me direz-vous, puisque c'est juste du coton et pas des produits chimiques et du parfum, mais je ne m'étais pas fait la réflexion. Cependant ça ne me dérange pas du tout. Mon problème principal a été de savoir combien de temps je pouvais en porter une avant de devoir en changer. Je n'ai pas vraiment répondu à cette question, je fais à l'intuition et ça marche très bien comme ça.

Je sais que certaines femmes ont un peu peur de l'étape du lavage et c'est vrai que ça ressemble un peu à la scène d'un film où le meurtrier nettoie ses vêtements imbibés dans le lavabo de la salle de bain de l'hôtel tout pourri où il s'est planqué... Personnellement ça ne me pose pas du tout de problème, et il faut voir aussi que le sang part bien et assez facilement, donc ça ne dure pas très longtemps. J'ai pris l'habitude de faire couler l'eau dessus en même temps que je frotte avec un vrai savon de Marseille. J'ai un peu peur de les abîmer à chaque fois que je fais ça et de déformer les coutures, mais ça a l'air d'aller et puis à un moment donné il faut bien frotter !

Hannahpad vous livre votre colis avec un détachant naturel que je n'ai à ce jour pas testé. Certes, il reste quelques traces sur les serviettes après lavage mais très sincèrement c'est presque rien et ça ne me dérange pas. Après tout ce sont les miennes, je ne vais ni les montrer ni les prêter, je ne pense donc pas nécessaire de détacher à chaque fois. Je pense que je le ferais tous les quatre, cinq, six mois peut-être, ou si je remarque à l'usage qu'elles sont plus rouges que blanches mais pour le moment le nettoyage avec le savon seul me convient.

La marque met en garde sur le fait de bien les sécher, près d'un radiateur ou au soleil, et d'expérience j'insiste. Il faut savoir que je vis dans un appartement aussi mal fichu que mal exposé, avec un radiateur électrique sur lequel je ne peux rien poser et à un endroit où il n'est pas facile de faire sécher quelque chose devant. Du coup, le séchage, ce n'est pas une mince à faire. Les serviettes doivent être lavées avant utilisation. Je l'avais donc fait en recevant mon coffret. Les pensant sèches, je les avais pliées et rangées. Pas de chance, l'une d'elle était apparemment encore un peu humide et des tâches de moisissures sont apparues (que ni le vinaigre, ni le dentifrice, ni le bicarbonate de soude, ni le savon de Marseille, ne sont parvenus à faire partir donc si vous avez des idées, je prends !). Du coup... faites mieux que moi ! Parce qu'à ce prix-là, en plus, il vaut mieux pas que ça arrive à chaque fois.

Le coffret que j'ai choisi contenait cinq serviettes. En faisant bien sécher (j'ai mis en place toute une installation hyper pratique (tu parles...) pour ce faire) on peut tourner sur quatre, je pense. Elles sèchent assez vite, je trouve, mais du coup attendez-vous quand même à avoir une ligne d'étendoir rempli de serviettes à diverses étapes de séchage.

Dans tous les cas j'en suis très contente et je pense que vous pouvez y aller sans crainte, que ça soit pour des raisons de santé, des raisons économiques, ou des raisons écologiques ! Je pense avoir tout dit mais si vous avez des questions, foncez ! ;)

*
*     *


♦ Aurélia Mardon, « Honte et dégoût dans la fabrication du féminin. L'apparition des menstrues », Ethnologie française, vol. vol. 41, no. 1, 2011, pp. 33-40 (a priori dispo sans connexion).
♦ Renée Greusard, « Ceinture en caoutchouc, chiffons : l'histoire méconnue des règles », Nouvel Obs/Rue89.
♦Gisèle Harrus-Révidi, « Bleu comme les règles ou de l'obsession aristotélicienne », Champ psychosomatique, vol. no 40, no. 4, 2005, pp. 7-10 (a priori dispo sans connexion).
♦ Marie-Claire Célérier, « Le sang menstruel », Champ psychosomatique, vol. no 40, no. 4, 2005, pp. 25-37 (a priori dispo sans connexion).
♦ Franck Collard, « Le poison et le sang dans la culture médiévale », Médiévales, 60 | 2011, 129-155 (accès en libre lecture).
♦ Anne Xaillé, « Petite histoire des règles et des protections périodiques », Le Journal des femmes.

En bonus si ça vous intéresse :
♦ Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, « Du sang et des femmes. Histoire médicale de la menstruation à la Belle Époque », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 14 | 2001, 14 | 2001, 207-229.