samedi 28 janvier 2023

Impuissance apprise

Source – Tyler Lastovich

Malgré le titre, je crois que mon article ne va pas être si négatif – enfin je pense. C'est des éléments que j'ai mis ensemble, un peu, ces derniers jours. Déjà, il y a cette expression, "impuissance apprise", que m'a sortie une amie quand je lui ai dit que je trouve dur de faire le ménage chez moi, de m'y mettre : je laisse tout s'entasser, au point que je dois gratter la table au couteau parce que les miettes de pain ont séchées dans le lait ; la vaisselle s'empile dans l'évier, la poussière sous les meubles… et ça me dépasse, ça me paraît insurmontable. C'est comme si c'était mon environnement, et que je ne peux faire que vivre avec – quand on se balade en forêt, on marche par-dessus les ronces et les fougères, on ne se promène pas avec une machette pour tailler dedans. Il y a aussi que je me dis que je n'ai pas le temps, surtout quand je suis en période d'écriture. C'est l'une des raisons pour lesquelles je voulais un chat ; je me disais qu'avec je serais obligée de faire le ménage, parce qu'il ne pourrait pas vivre là-dedans et que ça pourrait carrément être dangereux. Je laisse tout s'accumuler, et, à un certain moment, c'est trop et je fais tout le ménage d'un coup. Et ensuite, je me sens mieux, je me rends compte que j'ai du pouvoir sur mon environnement, et je me sens moins oppressée. Mais je laisse de nouveau les choses s'accumuler.

Il y a un peu de progrès, ces derniers mois. J'arrive à ne pas empiler les emballages à trier sur le bord de la fenêtre au point que ça cache une lumière du jour déjà faible. Je mets les emballages sur le plan de travail de la cuisine ; ils me paraissent davantage dans mon environnement immédiat, m'encombrent plus aussi, alors je les descends à la poubelle plus souvent. Ça peut paraître peu ou ridicule, mais c'est un vrai progrès, en vérité. Parce que sur le bord de la fenêtre, il pouvait y avoir une quinzaine de briques de laits, voire plus, peut-être – je n'ai jamais compté.

L'autre jour, j'ai lu un article sur Bribes de vies, sur l'ambition. J'ai de l'ambition, je crois, quoi que ce soit difficile de démêler l'ambition du rêve. J'ai toujours beaucoup rêvé – de publier des romans, de faire des podcasts, d'avoir du succès, une reconnaissance d'un "public". Tout ça sans me donner les moyens. Ou sans croire avoir les moyens. Je ne persévère pas, et je ne fais pas d'efforts. Ou bien je me cache derrière d'autres choix, comme l'écriture, qui prennent du temps sur les choses que je veux faire, comme cette recherche dans les archives sur la famille d'une jeune femme morte au XIXème siècle dont j'ai trouvé la tombe abandonnée dans un village paumé. Il faudrait que je finisse avant de quitter la région, quand même. Je ne suis pas si loin, en plus : j'ai presque fini les recherches que je peux faire depuis les documents numérisés : il me reste à aller dans les archives départementales pour certains trucs comme les causes de décès.

Je ne sais pas trop d'où vient ce rapport à l'effort ou au non-effort. Déjà, j'ai toujours eu des facilités, une bonne mémoire, ce qui fait qu'à l'école je ne me foulais pas trop pour avoir de bonnes notes (puis courir après les 18 je crois ne m'intéressait pas top non plus : au bac, je n'ai travaillé vraiment que la matière pour laquelle je voulais performer ; pour les autres, je suis partie du principe que j'avais eu 12 toute l'année et que donc j'aurais 12 au bac et que donc j'obtiendrais mon bac sans me fouler), et ça ne m'a pas habituée à travailler. Je crois aussi qu'une partie de moi se dit que bah, de toute façon, que je fasse des efforts ou pas, je ne saurai pas maîtriser ma voix, je ne serai jamais polyglotte, je ne publierai pas de livres, etc. et donc, ben, ça sert à rien. Impuissante.

D'un autre côté, je souffre de cette prophétie de médiocrité permanente, de moyen constant. Mais je me sens incapable de faire mieux, de dépasser ça. Il y a une ou deux semaines je faisais mes exercices de moyen-égyptien et devant des phrases un peu dures sur le coup, je me suis arrêtée, j'ai dit ça me saoule et j'ai rangé le manuel dans le tiroir de mon bureau. Et là, une alarme s'est allumée dans ma tête et je me suis dit que quand même je pouvais faire un effort. J'ai fait l'effort et j'ai réussi à traduire (enfin, je croyais avoir réussi) certaines phrases. J'étais assez contente, je crois.

Dans mes fantasmes, il y a eu longtemps des futur-amis imaginaires, ou des amoureux, qui m'apprenaient quelque chose – le piano, une langue, ce que vous voulez. Hier, j'échangeais sur Instagram avec une copinaute perdue de vue depuis un moment et je lui parlais de mon problème de maîtrise de ma voix et du fait que ça allait me poser problème pour trouver du boulot et elle m'a proposé de m'aider, de prendre une heure par semaine avec moi pour me filer un coup de main. Et je me suis sentie… je ne sais pas trop. Un peu honteuse, je crois. Comme pas méritante. C'était pas la réalisation d'un fantasme : c'était une catastrophe. Parce que je vais prendre du temps à une copine juste parce que j'ai pas assez farfouillé sur YouTube pour trouver des conseils, des pistes ; juste parce que je n'ai pas osé poser ma question au prof de théâtre qui est venu plusieurs fois à la radio avec ses élèves pour enregistrer des truc. Je ne mérite pas cette aide, puisque je n'ai pas fait assez de mon côté.

Je crois que j'ai tendance à abandonner assez vite. Souvent, les choses me paraissent dures, ou, plutôt, je me dis que je ne suis pas assez forte pour les passer. Que j'aurais beau me démener, ça ne changera rien.

Vous allez me dire que oui mais avec les romans j'ai dit que j'avais senti mes progrès, c'est donc bien que je peux progresser et réussir à faire quelque chose. Oui, j'y ai pensé aussi. Sauf que m'améliorer techniquement dans l'écriture de roman ne me demande pas d'efforts. Je lis, j'écris beaucoup, en étant attentive, mais il y a une sorte de naturel. Je ne me perds pas des heures et exercices, ni rien. C'est comme un flux continue, je suis le fleuve à bord de ma barque, je donne un coup de rame de temps en temps et puis voilà, ça se fait comme ça. Sans efforts. En tout cas sans efforts conscients.

Il y a trois ans (merci les mails datés) j'avais fait le test des messages contraignants. "Fais des efforts" était en "message très influent". Aujourd'hui, c'est "moyennement influent" (je l'ai refais exprès pour l'article, j'avoue, même si ça me trottait dans la tête :P). Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas. Ça veut dire qu'avec un bon coup de pied au cul je serais capable de faire des efforts ? Ou ça veut dire que si j'abandonne facilement c'est parce que pour moi quelque chose qui ne demande pas d'efforts n'a pas de valeur ? Ou ça veut dire que ça ne fait plus rien et que je suis juste dans une prophétie auto-réalisatrice ? Il faudrait que j'en parle à la psy, mais je voudrais parler du fait que je suis trop à fleur de peau, en ce moment, d'abord. ("Dépêche-toi" a pris de l'influence et "sois forte" aussi, mais "sois parfaite" est tombé un peu.)

Je crois au final que je suis toujours dans l'ambivalence. Pour avoir une meilleure image de moi et donner de la valeur à ce que je fais je devrais le faire en fournissant des efforts ; mais d'un autre côté je suis incapable, apparemment, de faire des efforts, dans une espèce de prophétie auto-réalisatrice de "je ne suis pas capable". Y a du boulot.

lundi 2 janvier 2023

Échec

Source – Blaque X
Hier, je n'ai allumé mon téléphone que dans la soirée, parce que je ne voulais pas entendre parler de bonne année, parce que je pense que cette année va être une année de merde, surtout que je venais de me lever à 11h pour m'être endormie à 2h non pas parce que j'ai fait la fête, mais parce que je me suis tapé une insomnie d'angoisse. J'étais d'une humeur massacrante. Puis j'ai repris la relecture de mon roman commencée le 30, et à la fin de la journée j'avais accumulé assez de joie pour me sentir d'allumer mon téléphone. Aujourd'hui aussi, j'ai accumulé de la joie. Mon roman me plaît et j'avance bien, je ferais peut-être un article spécial à ce sujet, parce que je trouve très sympa et enivrant le sentiment de sentir que je me suis améliorée depuis la dernière fois. Mais le truc c'est que ma joie immense de travailler sur un texte qui me plaît et de faire même un travail qui me plaît, cache seulement l'angoisse lancinante sans la faire disparaître.

Je rentre à la radio demain. J'ai commencé à angoisser au milieu de la semaine dernière, je dirais – et je me demande si ça ne se sent pas dans ma fréquence de masturbation, ceci dit y avait aussi ovulation et qui dit ovulation dit hormones (oui, je vous raconte ce genre de détails intimes ; ma foi si vous êtes mal à l'aise je suis désolée, au pire rien ne vous oblige à me lire). Ces deux semaines de vacances m'ont paru trois mois. Trois mois dans le bon sens du terme : une longue parenthèse reposante loin du travail que j'ai réussi à chasser de mon esprit avec une facilité déconcertante. Au point que je n'ai pas fait de lessive parce qu'avoir des vêtements propres quand on reste en pyjama toute la journée, ça sert à rien. Mais y retourner m'angoisse.

Je vais devoir lancer l'émission nouvelle formule, celle avec le flash à midi quinze et donc le premier invité seulement après. J'ai pas envie. Il me faut un psy pour une interview sur le rangement, mais ils me disent tous non et j'en ai besoin pour l'autre émission… J'ai pas envie de travailler. Ça fait des semaines que je ne fais pas bien mon travail, pas sérieusement, qu'il y a des gens que je ne démarche pas pour des interviews en grommelant dans ma barbe que "je m'en fous" – et après je vais me plaindre parce que je n'ai pas d'invités : regardez-moi ce magnifique serpent qui se mord la queue.

Je pense que je vais passer une année de merde, parce que déjà je n'aime pas mon travail, et que les chances sont tellement infimes que je puisse en changer que j'essaye de ne pas trop rêver du contraire et en même temps mon esprit m'y porte. Je peux commencer à chercher surtout à partir de mars, et j'aurai jusqu'à mai, par rapport à mon préavis de trois mois. Trois mois pour trouver un CDI quelque part alors que j'ai trouvé mon poste actuel en un an… haha. Surtout que je ne me suis pas beaucoup améliorée, je ne sais toujours pas poser ma voix, et le patron a pas l'air décidé à vouloir m'apprendre, il me dit juste : "faux s'entraîner". Ça va s'entendre dans la maquette. Alors je sens déjà que, même si je vais faire tout mon possible pour changer de travail, je vais échouer.

Il y a trop de paramètres contre moi, et rien que le fait que je ne peux pas aller dans une ville trop chère, puisqu'il faut quand même que je puisse caser tous mes meubles (donc exit Paris et son studio – même si j'ai aucune intention de vivre à Paris). Les radios ont souvent des flottes de voitures en manuelle, mais moi je ne conduis que les automatiques. Les entreprises rechignent à faire déménager les gens, elles n'ont pas confiance. Il va falloir que je puisse déménager, aussi, alors que comme je travaille je ne peux pas trop visiter des appartements, donc il va soit me falloir une gentille âme sur place pour me faire une visio, soit je vais encore me retrouver avec un appart' tout pourrave dont personne aura voulu de toute l'année. Je vais faire de mon mieux, mais ce n'est quand même pas gagné.

Un autre truc m'a foutu le bourdon – le fait de travailler sur le roman me redresse, parce que je me rends compte que quand je dis que je m'en fous si je publie pas, c'est vrai – c'est qu'une copinaute a eu une réponse super rapide d'une maison d'édition qui m'intéresse beaucoup, et à laquelle j'ai envoyé à peu près en même temps qu'elle. Elle l'a eue en un mois, alors que dans l'accusé de réception ils parlaient de plusieurs mois. Ils l'ont clairement mise sur le haut de la pile. Je suis vraiment sincèrement hyper contente pour elle, et en même temps un peu amère pour moi ; je me trouve un peu conne, ridicule et pathétique, parce que j'avais fantasmé un appel rapide pour mes romans. Bref. Ça va mieux, maintenant. Je vais attendre ce printemps les dernières non-réponses puis je pense que je ferai imprimer un exemplaire de Roman 1 et 2, juste pour moi, pour leur donner matière et conclure toute cette histoire. J'ai déjà décidé que je ne soumettrais plus ces romans (reste juste Bragelonne, qui ont apparemment refondu leur système et que je voudrais tester).

L'autre nouvelle de ces dernières semaines, c'est une copine de fac enceinte, et voilà que j'ai fini par me dire que, moi, je n'avance pas dans ma vie. C'est pas le bébé : les bébés je m'en fous, j'en veux pas, dans le règne animal un être vivant dans votre corps qui mange ce que vous mangez ça s'appelle un parasite, hein : hors de question que je ponde un gosse : j'écris quand, avec un gosse, moi ? Hors de question, jamais jamais jamais. Et pourtant j'adore les enfants et les ados ! Mais c'est pas parce que j'aime ma'ger une tarte aux framboises de temps en temps, que je veux devenir pâtissière. Donc c'était pas le bébé, c'est plus le fait que ça marque un certain passage, vous voyez ? Puis, il y a aussi la discussion qui est allée avec. C'était une grossesse surprise, alors je pose des questions et elle me fait des réponses très courtes qui me font bien comprendre qu'elle veut pas m'en parler. Ce qui m'a gênée, c'est que j'ai dû lui rentrer un peu dedans pour qu'elle me dise clairement qu'elle ne voulait pas en parler par messagerie et que certaines choses méritaient un face à face. Je n'ai aucun problème avec ça, mais ça m'a peinée et vexée qu'elle ne me le dise pas directement, comme si elle craignait me réaction si elle me disait qu'elle ne voulait pas en parler, comme si on ne pouvait pas avoir cette honnêteté entre nous. Dans le fond, c'est vrai que l'on n'est pas si proches tant j'ai du mal à me lier avec les gens, mais ça m'a peinée quand même.

Cet événement m'a renvoyée aussi à la question de la réalité face au numérique. J'ai réalisé combien certaines personnes n'utilisent les messageries instantanées que pour garder le contact et prendre des rendez-vous, et préfèrent les rencontres "réelles", physiques pour parler, se sentent plus à l'aise que derrière un écran impersonnel, et combien c'est très différent de la réalité que je vis. J'ai toujours trouvé plus facile de m'ouvrir sur internet – même si je ne parle de moi sur mon blog que depuis ce blog-là et jamais avant –, de parler de choses intimes. J'ai une très bonne amie que je n'ai jamais vue depuis un an et demi que nous avons commencé à parler : j'attends et appréhende notre rencontre tout à la fois parce que j'ai peur d'être incapable d'aborder en vrai les tonnes de sujets intimes dont on se parle par messages. Et du coup, j'ai réalisé aussi comme je pouvais peut-être paraître en retrait à mes amies "réelles". La discussion m'a ramenée à cette question aussi parce qu'en même temps je crois que j'ai développé un crush pour un des garçons avec lesquels je parle par voie numérique. Mon amie m'a rassurée, mais je me suis trouvée très stupide et pathétique de ressentir ça pour un gars que j'ai littéralement jamais vu. Genre : je suis même pas capable d'avoir des béguins sur de vrais gens, même pas capable de parler à quelqu'un sans des projections et des fantasmes idiots. Mais je suis capable d'avoir un béguin, ce qui est rassurant en soi, même si je pense que c'est surtout parce que la psy essaye de faire sortir les émotions et que les pauvres ne savent pas comment s'exprimer, alors elles partent dans tous les sens.

Je crois que j'ai besoin de rencontrer des amis que je peux voir en chair et en os et toucher. Ça ne se produira sans doute pas cette année.

La psy m'a expliqué que l'optimisme ou le pessimisme ne sont pas des traits de caractère mais des capacités (je crois). Je veux bien essayer d'être optimiste, mais je vois trop de barrières devant moi, trop hautes, pour me dire que je vais passer une bonne année. Les mauvais jours je me dis même que je serai toujours bloquée là dans quinze ans, toujours esseulée et médiocre.

Il n'y a que l'écriture qui me fait aller bien.

Je n'ose pas vous souhaiter une bonne année après un article aussi morne...