mardi 21 mars 2023

Fatiguée

Source – Ihsan Adityawarman
Si je me fie à mon calendrier, ça fait deux mois et demi que je n'ai pas eu vraiment une vraie nuit tranquille (et au lieu d'aller me coucher, j'écris cet article parce que je pense que j'en ai besoin, mais du coup je sais que je vais niquer ma nuit, et je culpabilise, donc il y a vraiment des chances que je nique ma nuit). Je me réveille pour aller aux toilettes au milieu de la nuit, et je ne me lève pas. Mon cerveau s'allume, je le laisse s'allumer parfois, et je réfléchis, et quand je relève la tête dix, vingt, trente minutes sont passées et je me dis je dois me lever pour aller aux toilettes et puis d'autres réflexions se lancent si bien qu'il se passe une demi-heure, une heure, une heure et demie avant que je me lève pour aller aux toilettes. Et ensuite il faut que j'arrive à me rendormir. Mais si je suis trop proche de l'heure du réveil, j'ai peur de mettre trop de temps à me rendormir, et de ne quand même pas assez dormir, d'être surprise par le réveil, éclatée, et donc de traîner après le réveil et d'être en retard. Alors je n'arrive pas à me rendormir, alors je suis éclatée.

Quand j'étais ado, au collège, je me réveillais avant le réveil. Je me disais le soir : "j'ai neuf de sommeil" et puis au milieu de la nuit : "il me reste quatre heures" et, généralement, au bout de trois heures cinquante, j'ouvrais les yeux en pleine forme. J'ai perdu mon super-pouvoir. Je m'en suis rendue compte il y a quelques jours – ou semaines ? je perds un peu la notion du temps sur les bords. Ça m'a fait bizarre.

Je suis fatiguée. Le problème, c'est que du coup, la sieste avant d'aller à l'aïkido ne me repose pas forcément assez, du coup je ne vais pas à l'aïkido, et il peut se passer un mois complet sans que j'y aille. J'ai des cours de moyen-égyptien le mardi soir, de dix-neuf à vingt-et-une heures, et la semaine dernière j'ai failli m'endormir sur mon bureau. Tout à l'heure, devant mon écran, j'écoutais mais je ne comprenais rien. Le prof parlait de trucs de la semaine dernière, je ne savais même pas de quoi on parlait. Le week-end, j'ai toute la fatigue de la semaine, et je trouve ça dur de faire mes exercices de traduction. Je sens bien, pourtant, que les phrases ne sont pas très compliquées, que je pourrais y arriver, je sais qu'en remontant dans le manuel je trouverais les réponses, les règles grammaticales, mais ça m'écrase, ça me paraît insurmontable, incompréhensible. Alors je ne les fait pas ou mal, alors je me trouve nulle, nulle aussi de ne rien comprendre en cours, de ne pas réussir à suivre, à me concentrer. Et comme je me trouve nulle, j'ai du mal à dormir, et comme j'ai du mal à dormir, je me trouve nulle.

C'est ça aussi le problème quand je ne dors pas : je me trouve nulle. Les émotions désagréables me noient. Mes rêves deviennent glauques (bon, ils le sont un peu toujours), et mes fantasmes conscients aussi, avec des ruptures, des accidents, des viols, des agressions, des catastrophes, et ça nourrie mon mal-être et donc mon insomnie et je broie du noir encore et encore. Rien qu'aujourd'hui, j'avais passé une bonne journée, pourtant, mais, arrivée au rond-point d'entrée dans la commune, des putains de manifestants à la con bloquaient la route pour la réforme des retraites (les gars, si vous avez toujours pas compris que ça changera rien, y a un problème, hein, puis façon ils nous pondront une autre réforme dans dix ans, enfin bref, je m'énerve parce qu'en fait je crois que je m'en fous, je ne m'informe plus, je m'en fous, puis manifester en cortège, OK, mais venir faire chier les gens qui rentrent du boulot, vraiment, non) et moi j'avais cours, j'avais peur d'être en retard, comme je suis toujours sur le fil comme je termine le travail à dix-huit heures. J'aurais été en retard pour de bon si une ambulance qu'ils devaient laisser passer n'avait pas permis de faire passer plein de voitures à la fois. J'ai passé ma tête par la vitre, j'ai demandé rudement combien de temps ils allaient me garder parce que j'avais cours, la dame m'a répondu, et j'ai cru voir qu'ils s'échangeaient un sourire narquois. Mais les gars, mon temps est aussi précieux que le vôtre en fait, donc merci de ne pas me péter les couilles. Bref. Au final j'ai pu assister à mon cours, mais ça m'a fauchée ma journée. Ensuite, j'ai broyé du noir. Je ne trouverai pas de travail, je ne comprends rien en cours, tout le monde est occupé par sa vie donc personne sur les réseaux pour discuter… Pas la ressource de passer à autre chose, de me dire que j'avais eu mon cours quand même… pas l'énergie.

La thérapeute en médiation animale m'a demandée de faire les trois points positifs par jour. Je m'y astreints. J'en écris souvent plus, parce que je sens que trois c'est pas assez pour me faire remonter la pente. Je vais essayer de vous faire un article positif un de ces jours, ça changera un peu…

J'ai essayé de reprendre le contrôle, la maîtrise de mes nuits, mais pour le moment ça ne fonctionne pas trop – ça ne fait que quelques jours, c'est un peu normal, je pense – et clairement le fait de prendre du temps pour écrire cet article au lieu d'aller me coucher ne va pas aider. Déjà, j'ai mis mes méditations les plus usuelles sur mon iPod pour éteindre mon téléphone et ne pas être tentée de regarder si une amie dans une situation de merde m'a répondu sur Whatsapp (en plus, elle est au Canada, donc quand j'envoie des messages à 22h, elle n'est pas du tout couchée, elle !) et arriver davantage à couper mes pensées et mes ruminations (mais pour ce soir j'ai repéré une méditation que je veux mettre sur YouTube). J'ai aussi recommencé à jouer au kalimba avant de dormir, même si ce n'est pas longtemps. J'avais arrêté – de lire aussi – parce que comme je suis crevée je me disais que j'avais pas le temps, que je devais dormir tout de suite, mais au final c'est une bonne soupape pour moi. Je joue le numéro de téléphone de mon amie, je pense que ça me permet sur un plan inconscient de traiter des trucs aussi, de traiter le sujet, un peu. Puis j'aime bien, ça me détend, même si je ne sais pas trop encore si c'est la musique en elle-même ou les vibrations dans le bois, au bout des doigts. Quand je termine tôt, que je peux me coucher tôt, je me remets à lire, aussi, même si ça fait trois semaines que j'ai interrompu le roman en cours pour corriger le mien. Je suis à vingt pages de la fin, frustration… (vingt pages, pour moi, fatiguée, c'est une heure de lecture… autant dire qu'au bout de trois pages je lâche déjà l'affaire).

Je sens du mieux, je fais des périodes de sommeil d'un seul tenant plus longues. Mais les rêves restent glauques, et j'ai toujours du mal à me lever pour aller aux toilettes. Des fois, les méditations ne suffisent pas, et mon esprit passe par-dessus et mouline et mouline et mouline.

J'aimerais bien dormir. J'aimerais bien être reposée. J'aimerais bien être reposée pour avoir la motivation de faire des trucs. Parce que là, clairement, j'ai aucun courage ni aucune énergie. Même la rencontre prévue le 8 avril avec des filles d'un Discord je pense que je vais passer mon tour. Ça fait trop peur, ça coûte un peu cher, et je vais revenir claquée d'avoir passé la journée à Paris avec du monde autour, des filles que je n'ai jamais vues en vrai. Trop de monde d'un coup, rupture trop violente avec la solitude dont je parlais la dernière fois, et donc trop d'énergie dépensée pour une fille claquée. Et en même temps voir du monde me ferait peut-être du bien. Mais ça fait peur. Et comme je broie du noir j'ai bien sûr l'intime conviction que ça va mal se passer.

Je sais qu'on conseille de se lever la nuit quand on n'arrive pas à dormir : si on ne dort pas, on quitte le lit. J'y arrive pas. C'est un peu dur de me dire que je dois me mettre debout à trois heures du matin, prendre un livre ou marcher dans l'appart' ou quoi. Surtout que si je commence à permettre à mon cerveau de mouliner, je ne vais pas me rendormir !

J'aimerais bien passer de bonnes nuits et retrouver mon super-pouvoir. Ça va avec le sentiment de sécurité. En ce moment, j'ai une hypnose sur les ruminations, et une méditation sur la sécurité intérieure, c'est ce qui marche le mieux.

mardi 7 mars 2023

Seule

Source – Masha Raymers
J'avais déjà parlé de solitude ici, quand j'ai parlé de l'insécurité intérieure, je crois (je ne sais plus trop, je n'aime pas relire les anciens articles, parce que quand je les écris j'ai l'impression d'être très pragmatique et d'avoir les idées bien claires, et quand je les relis plus tard, j'ai l'impression souvent de relire une fille différente, complètement perdue et pas très censée, donc j'évite de me frotter à la moi-du-passé), mais ces derniers jours (semaines ? je suis un peu perdue dans le temps, aussi, il se resserre ou se dilate, c'est bizarre) je me rends compte à quel point ça me pèse.

En fait, j'ai réalisé qu'aujourd'hui je parle seulement à des "relations fictives", des êtres numériques avec lesquels une discussion du tac au tac est presque impossible, où il faut régulièrement des heures, des jours, des semaines, parfois, pour avoir une réponse. Ça ne me gêne pas, dans le sens où les personnes donnent ce qu'elles peuvent donner, et je m'emploie à ne pas demander plus que ce qu'elles peuvent donner, mais je me rends compte que de n'avoir que ce genre de discussions en décalé me pèse, en fait.

J'ai toujours parlé à des gens sur internet, via les blogs, les réseaux sociaux que j'ai eu puis abandonné, mais j'ai toujours eu aussi des personnes à qui parler "en vrai", qui répondent quand on parle, depuis les amitiés chaotiques de la primaire jusqu'à celles plus solides de la fac, ou même ma collègue en Service Civique l'année dernière avec laquelle nous parlions parfois, souvent, presque tous les jours, de choses plus personnelles que le travail. Mais cette année, plus de Service Civique. Je ne parle pas beaucoup aux personnes de l'aïkido (et comme je suis fatiguée en ce moment, ça fait un mois que je n'y suis pas allée, j'espère pouvoir demain, puisque a priori je ne ferai pas la technique de l'émission spéciale jusqu'à vingt heures), et je ne me suis pas fait d'amis, ici – et maintenant que je cherche à partir, je me dis que ça ne sert à rien de me faire des amis en chair et en os, pour les numériser une fois que j'aurais changé de travail.

Parler au téléphone avec une copine de fac l'autre jour m'a fait du bien, je crois, mais malgré ses démentis j'ai quand même eu l'impression qu'elle ne voulait pas vraiment parler, ou pas à moi, en tout cas.

Je dors mal, en ce moment. Je me réveille, je dois aller aux toilettes, et je tourne une heure – ou plus – dans mon lit avant de me décider à me lever, alors que j'arrive assez bien à me rendormir ensuite. Il y a ce truc très étrange, aussi, c'est que je sais que j'ai besoin de voir du monde et de parler à du monde mais quand ça devient possible, j'ai peur. Quand ma copine de fac m'a proposé une date proche, je me suis dit : "mince, je voulais écrire". Je me sens piégée quand je ne peux pas lire ou écrire ou corriger parce que c'est ma soupape, ma liberté, et quand les circonstances font que c'est impossible, je me sens acculée. C'est désagréable. Bon, de toute façon j'étais trop fatiguée ce jour-là pour faire quoi que ce soit d'autre. Pour téléphoner, je me suis carrément allongée dans le lit. Le sommeil s'est un peu amélioré, mais j'ai traversé quelques nuits pénibles, faites de plusieurs réveils et rêves glauques, culpabilisants et d'atmosphère pesante.

Le fait de ne parler qu'à des gens numériques qui ont "d'autres choses à faire" que de parler "à une fille comme moi" (quoi que je n'utilise plus trop cette expression dans cette circonstance en ce moment ; je me contente d'un très neutre "avec moi") me donne une drôle impression de solitude, comme si je parlais à des gens qui n'existent pas, ou que j'étais dans un autre monde, séparée, comme dans une petite cage et on me regarde quand on daigne le faire, enfin je ne sais pas comment dire.

Je vous avais raconté quand j'ai touché avec mon pied à travers le drap la petite chatte écaille de tortue que j'avais en famille d'accueil. Je me suis sentie reliée. Ben là c'est un peu pareil, mais dans l'autre sens : je me sens perdue au milieu de nulle part, esseulée. Et comme je n'aime pas mon travail (je commence les candidatures, j'en ai fait quelques unes dans des librairies, mais je n'ai pas les diplômes, alors on verra bien) je ne peux même pas me jeter dedans. Quand je suis au travail, ça m'arrive de recharger la page Discord toutes les dix minutes pour être sûre qu'il n'y a pas de nouveaux messages, que je ne peux parler à personne. Ça m'arrive de songer lancer une discussion juste pour avoir une réponse, juste pour avoir une conversation, et je me trouve plutôt très conne.

Et en même temps je ne voudrais pas d'une bande d'amis qui passerait son temps à vouloir m'inviter à des trucs et m'empêcherait d'écrire, m'empêcherait d'avoir la haute dose de solitude dont j'ai besoin. Je crois qu'il y a une espèce de cercle vicieux : moins je suis entourée, moins j'ai envie de voir du monde. Je veux en voir plus et en même temps je crains de souffrir de ces rencontres, de perdre ma liberté, de ne pas savoir m'affirmer.

Mais j'ai quand même envie de parler à quelqu'un.

L'idée d'appeler SOS Amitié m'a déjà traversé l'esprit, mais le standard est tellement saturé par des gens qui ont des problèmes bien plus importants que les miens que je crois que je m'en voudrais si j'avais une personne pour décrocher au bout du fil alors que d'autres appellent plusieurs fois dans la journée sans avoir personne. Je sais aussi que je suis capable de me gérer, je n'ai pas besoin d'avoir recourt à ce genre de dispositif, je pense.

Je me demande aussi à quel point le travail avec la psy a son rôle à jouer, dans le sens où peut-être qu'avant ça ne m'aurait pas dérangée, ou peut-être je ne l'aurais pas consciemment ressenti, ce besoin de voir du monde, de parler à quelqu'un qui répond. Je ne sais pas.

Du coup, j'essaye de me réfugier dans les romans, ceux que j'écris et ceux que je lis. Et puis dans les fantasmes, aussi. Ceux dans lesquels je rencontre des gens qui respectent aussi mon besoin de solitude. Le problème, c'est que j'ai l'impression que beaucoup de personnes le prennent mal quand vous dites que vous ne voulez pas sortir (avec eux).

Du coup, j'écris sur mon blog, où la réponse ne sera pas immédiate non plus.