dimanche 29 mai 2022

Mettre le nez dehors

Source – Marie Lemaistre
Moins je mets le nez dehors, moins j'en ai envie et plus j'ai peur, donc moins je mets le nez dehors. Une amie m'a quand même convaincue de faire l'effort d'aller dans un bar vendredi, mais je n'y suis pas allée à l'heure où elle pensait que j'irai (l'heure évidente pour rencontrer des gens : le soir), du coup, il ne s'est rien passé de particulier et j'ai même dû lui demander ce qui était censé se passer (des gens qui viennent te voir, tout ça…). De base, je ne suis pas très sociable, et en plus je suis une vraie introvertie mal à l'aise quand il y a plus de quatre personnes autour d'elle. Du coup, c'est assez compliqué. Sans compter que je ne sais pas comment on fait pour rencontrer des gens, comment on aborde les autres. Et comme je ne suis pas du tout spontanée, il faudrait avant de me lever que j'imagine une conversation, mais imaginer une conversation badine avec des inconnus dont on ne peut pas anticiper les réactions, c'est perdu d'avance. Donc vendredi je suis sortie et il ne s'est rien passé, bien sûr. Je devais sortir aujourd'hui aussi pour aller voir une compétition de break danse mais j'ai finalement renoncé pour traîner. Je pourrais vous dire que je suis fatiguée et que j'avais un peu mal au crâne mais comme dit le proverbe arabe : qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui veut ne rien faire trouve une excuse. Le fait est que je trouve ça dur de sortir, d'aller dans un endroit inconnu, de parler à des gens ou même juste d'être au milieu d'autres gens. Je trouve ça dur aussi de me rendre à des endroits en espérant qu'il se passe quelque chose, et que finalement il ne se passe jamais rien.

J'avais imaginé qu'en allant à cette compétition de break danse je pourrais repérer et aborder quelqu'un qui s'y connaît pour me commenter la compèt' en mode commentaires sportifs parce que même si c'est très beau à regarder mon esprit analytique aime qu'on lui explique le pourquoi du comment (telle figure très technique, par exemple, ou rien que le nom des mouvements, j'en sais rien, pour apprendre des trucs et pas juste regarder bêtement). Dans ma tête, on se croirait un peu comme dans un film avec des rencontres hyper écrites entre gens seuls. Mais les gens ne sortent pas seuls. Déjà cet hiver en allant à une visite au flambeau d'un château j'avais imaginé que je pourrais parler à quelqu'un. Ben non. Les gens sortent en famille, entre amis. Parler à quelqu'un tout seul c'est déjà dur, mais alors me taper l'incruste dans un groupe, laisse tomber ! Du coup je crois que ça m'a un peu découragée aussi, de me dire que je sortais avec une espèce d'espoir que je n'ai pas su juguler et que j'allais forcément être déçue sur ce plan-là, même si les danseurs étaient top et le moment sympa.

Même sur internet, je trouve ça dur. Mon amie, je l'ai rencontrée sur internet et ça s'est fait hyper naturellement, en fait. Mais c'est pas moi qui ai fait le premier pas. Tout comme avec cette membre du forum (qui se reconnaîtra si elle passe par-là, coucou ! :D) qui est venue me parler en MP parce qu'elles pensaient qu'on pourrait être amies. Elle a dit ça avec un naturel très déboussolant pour moi. Une lumière de méfiance s'est allumée dans mon cerveau comme si j'avais gardé une sorte de méfiance de mes mauvaises expériences et qu'une partie de moi ne pensait pas que quelqu'un puisse vouloir être ami avec moi. C'est très bizarre. D'un côté, il y a cette méfiance, et à la fois je suis parfaitement envieuse de cette capacité à aller vers les autres sans détour de cette manière. Sur ce forum, il y a un membre pour lequel je me dis souvent qu'on pourrait bien s'entendre, et j'attends l'occasion de lancer la conversation. Je ne me vois pas du tout envoyer un message privé pour dire de but en blanc : "j't'aime bien, soyons amis", en gros. Trop risqué.

Mon amie dit que je me mets trop de barrières ; je pense que d'un certain point de vue, elle a raison. Mais comme je ne suis pas spontanée et que je dois avoir l'impression de contrôler ce qu'il se passe pour pas trop flipper, j'ai besoin de la ligne de sécurité que me procure le fait d'imaginer comment ça va se passer. Sauf que je sais que ça ne se passe jamais comme "prévu". Je pense aussi que je ne suis pas en assez grande sécurité intérieure pour être bien dans un environnement "non contrôlé". Ça m'a un peu fait ça avec les chats. C'était très bizarre parce que je savais que je les avais voulu et que c'était moi qui les avait fait entrer et en même temps en les regardant, régulièrement, j'avais cette impression très bizarre d'une intrusion, comme l'intrusion de je sais pas un fantôme ou une créature malveillante, enfin… une intrusion. Et puis comme ils faisaient tomber des trucs la nuit et qu'il n'y a pas d'isolation sonore dans mon vieil immeuble, j'ai commencé à me dire que les voisins (qui sont pas toujours commodes) allaient vraiment finir par s'énerver et ça avait tendance à m'angoisser. Et ça s'est mélangé au reste.

Le problème, c'est que moins je me confronte à un environnement "non contrôlé" et moins j'ai envie ou me sens capable de m'y confronter, tout en sachant que c'est mieux pour la santé, de sortir marcher en ville, de parler à des gens, tout ça. Quand je sors, je préfère aller me balader toute seule en forêt. Là, je suis bien. Je suis dehors et je décide de où je vais, j'explore des endroits que je ne connais pas, je parle toute seule sans risque de croiser un regard d'une personne qui trouve ça chelou (même si dans le fond je m'en fous, mais parler tout seul en ville avec tous les stimulii c'est pas facile pour se concentrer). Mais pour aller dans la forêt il faut prendre la voiture. Et conduire reste assez compliqué. Et je tourne en rond comme ça.

Je trouve aussi que je m'enferme en moi-même en plus de m'enfermer chez moi. Ce long week-end j'avais le temps de travailler sur une recherche hyper grisante sur des gens dont j'ai trouvé les tombes du XIXème siècle dans le petit cimetière d'un hameau paumé, mais au final je n'ai travaillé dessus qu'une petite demi-heure. Faut dire que j'ai pas bien dormi ces dernières nuits et que je me prends de gros coups de barre l'après-midi. Mais n'empêche, mes pensées tournent en boucle sur l'écriture, sur la peur de sortir, sur l'envie de découvrir l'amour, sur mon travail pas à la hauteur de mes attentes. Et c'est tout. Et je m'enferme en moi-même au lieu de reprendre l'apprentissage du japonais, par exemple. Je sais que je dois en sortir et en même temps je n'y arrive pas. Il va bien falloir, pourtant. Je ne sais pas si j'essaye inconsciemment de me protéger, ni de quoi j'essaye de me protéger, mais il va falloir que je trouve.

Ou alors c'est juste que je ne suis pas habituée à faire des efforts (alors que c'est l'un de mes messages contraignants), vue que j'ai une bonne mémoire et que j'ai toujours eu des facilités en classe. Du coup mon esprit n'est pas habitué à devoir ramer pour faire quelque chose et il ne sait pas comment s'y prendre. C'est possible, ça ?

Bref.
Je ne sors pas de chez moi et c'est une mauvaise chose.