jeudi 25 avril 2019

Nomen falsum

Source – Makoto Shinkai/CoMix Wave Films
Il y a quelques jours je me suis dit que ça pourrait être intéressant d'écrire sur les questions de pseudonymat, d'identité sur internet, de ce que l'on dit et de ce que l'on ne dit pas de nous. C'est surtout parce que je suis pétrie de contradictions, et que ça pourrait être intéressant à explorer.

Si vous me suiviez sur mon ancien blog, vous savez que je suis partie parce que je voulais pouvoir parler plus de moi tout en ne voulant pas qu'on ne reconnaisse, que je trouvais en avoir trop dit sur ma vie (mes études, etc.). Mais, quand on y réfléchit, c'est un peu étrange de vouloir parler plus de soi tout en voulant de protéger, se prémunir, du fait que l'on sache que c'est "soi". C'est que, je voulais parler davantage de ma vie intérieure tout en voulant en dire moins sur mon identité vraie (en opposition au nomen falsum).

Serge Tisseron appelle le fait de vouloir parler de sa vie intime en public "extimité". C'est ce qui a donné son nom à l'un des libellés du blog. L'extimité, c'est révéler dans le public une partie de sa vie intime afin de mieux se les approprier par la suite en "les intériorisant sur un autre mode grâce aux réactions qu'ils suscitent" chez les autres (L'intimité surexposée, 2001, Paris, Ramsay). Et c'est ainsi que je voulais parler plus de moi en parlant moins de moi. Ce qui est très étrange, d'ailleurs, car quand j'ai créé ce blog j'ai créé une page "qui suis-je" avec mes centres d'intérêts et les études que je fais. Preuve que c'était encore flou dans ma caboche. Mais, d'un autre côté, et pour en venir au nomen falsum, mon pseudo ne dit pas grand-chose de moi, il n'est pas adapté véritablement d'un centre d'intérêt, d'une anecdote, ou de mon identité civile.

Mon précédent pseudo ressemblait à un prénom. D'ailleurs, il contenait une partie de mon véritable prénom. Celui-là, il cache tout. Je me serais appelée "Anonymous" que ça n'aurait pas été bien différent. C'est peut-être pour ça que je me permets des articles très personnels, comme le dernier sur le rapport au corps. Mais c'est aussi parce que, dans un article de 2001 disponible gratuitement ici, Serge Tisseron dit que le désir d'extimité est soumis à la satisfaction de l'intimité : on ne se montre que parce que l'on sait que l'on peut se cacher. Or, avec un blog qui marchait pas trop mal (mieux que celui-là, sans nul doute, d'autant que je suis nulle en réseaux sociaux et que Hellocoton est mort), des articles où j'en disais peut-être trop, un pseudo qui aurait achevé de lever les derniers doutes des personnes proches se demandant si c'était bien moi, la possibilité de me cacher pas assez grande. Et puis, aussi, sur internet, on peut décider d'ignorer la présence du public, et l'on n'est donc pas influencé par lui. C'est drôle d'ailleurs parce que, quand j'étais en Service Civique, on bossait dans un local où j'ai dit des trucs sur moi que j'avais dit à personne, j'avais un public restreint et l'impression que ce qui était dit dans le local resterait dans le local.

Je trouve ça intéressant de s'intéresser aux pseudos et aux noms de plume parce qu'ils permettent aussi de voir le rapport entretenu par le porteur avec son véritable nom. Par exemple, si un jour je suis publiée par une maison d'édition, ce que j'adorerais, je choisirais un nom de plume. Un nom de plume adapté de mon prénom, qui le séparerait en deux, pour recréer un prénom et un nom. Pour une raison toute bête. D'abord, j'aime cette nouvelle identité dans sa sonorité, et puis j'aime bien mon prénom mais, surtout, je porte le nom de l'un de mes parents, or, ça m'irrite lorsque l'on dit que je lui ressemble : je lui ressemble plus que je le voudrais. Pour moi, prendre un nom de plume, un nom d'artiste, c'est couper la filiation de mon identité réelle. Mais ça peut être aussi plus fonctionnel. Je me souviens d'une discussion entre membre du forum Jeunes Écrivains que je n'ai pas réussi à retrouver, une membre disait qu'elle avait choisi un pseudo de garçon pour se prémunir du sexisme qui voudrait qu'une fille ne doive écrire que sur les petits papillons et qu'une fille qui écrit des histoires violentes c'est bizarre.

Et puis mon nom de plume sera nécessairement différent du pseudo de mon blog : je joue sur une autre partie de mon identité. Ce qui est bien, avec le pseudo, c'est que l'on peut être soi sans être soi. Ce n'est pas du mensonge, comme le rappelle François Perea dans un article de 2014 (ici). Le rôle d'un pseudo c'est la protection et la projection de soi. Je trouve d'ailleurs que je mentirais moins avec un nom de plume qu'avec mon identité civile. Parce que quand j'écris je puise en moi et donc utiliser un nom que j'ai choisi me paraît plus... cohérent... Alors que l'identité civile, c'est un nom neutre, qu'utilisent autant les amis, que les membres de la famille (je n'ai pas de surnom et je me porte très bien comme ça), que les collègues, que l'administration publique... C'est un nom neutre, qui ne dit pas grand-chose, qui n'est pas très intéressant. Dans ce sens-là, je trouve assez intéressant les suffixes utilisés au Japon, qui permettent de qualifier le degré de proximité d'une relation, ce que l'on ne peut pas vraiment faire de manière aussi poussée en français même si on use de surnoms et du vouvoiement, dans la mesure où, par exemple, on dit aussi bien "Monsieur" à un prof qu'à un patron qu'à un inconnu dans la rue.

En fait, le nomen falsum, se rapproche un peu de la vérité, je trouve.

lundi 15 avril 2019

La peau et le sang

Source – solene MeSt*
Il y a environ trois semaines, en marchant dans une rue de la ville où se trouve mon université, j'ai croisé une camionnette du Don du sang qui était à l'arrêt. Sur le côté, il y avait écrit "y penser, c'est naturel" ou "c'est naturel d'y penser", quelque chose comme ça. Je n'y ai pas trop porté attention, me contentant de relever que je n'étais pas du tout d'accord, mais, ces derniers temps, j'y repense et j'ai commencé à pousser un peu plus loin la réflexion autour du sang, de la peau, ayant quelques problèmes avec ma perception de mon corps et mon "utilisation" de mon corps. Pour nourrir ma réflexion, je suis allée faire un petit tour sur Cairn pour mettre la main sur des revues de psycho (dont vous trouverez les références à la fin de l'article, c'est une déformation professionnelle haha :P).

Ce n'est pas très facile pour moi d'écrire cet article, à la base je ne voulais même pas le faire, mais je me suis lancée là-dedans et j'aimerais bien finir. Comme il promet d'être un peu long, je vais essayer de caler des intertitres pour aérer un peu mais surtout pour que la lecture vous soit plus agréable et que vous puissiez sauter les paragraphes qui vous intéresseront moins, ou au contraire ne lire que ceux qui vous intéresseront le plus.

Le paradoxe du sang


J'aime le sang. J'ai toujours aimé le sang. J'aime tout. Son odeur, sa couleur, son goût... quand je me blesse, je lèche la blessure sans problème. J'aime le sang quand d'autres en ont peur. En fait, en un sens, il me fascine et, de même que la fascination pour les reliques dont parle Paul Koudounaris dans son livre Trésors des Catacombes naît à la hauteur du contraste entre l'absolu macabre et le grandiose le plus total de ces squelettes ornementés, mon attirance pour le sang naît de son propre paradoxe. Dans l'un des articles que j'ai lus, David Le Breton (1) dit que le sang n'est pas "n'importe quelle substance, il émane du corps, il est associé symbolique dans nos sociétés à la vie et à la mort, à la santé et à la blessure [...]". Le sang, on s'en sert pour représenter la mort, pour signifier une mort violente lorsque l'on met en scène le lieu d'un crime. Le sang, on en a peur quand on le voit. Et à raison ! Il n'est pas censé être vu. J'en suis d'ailleurs venue à penser que la peur du sang est en fait un avatar de la peur de la mort (comme je le pense pour d'autres peurs comme la claustrophobie, la peur du noir, de traverser un pont, de rester immobile, du silence...).

Mais, d'un autre côté, il est essentiel à la vie, et des civilisations en ont fait un symbole de fertilité. C'est le cas notamment de la culture mochica qui existait au Pérou du Ier siècle au VIIème siècle environ de notre ère (intermédiaire ancien et une partie de l'horizon moyen pour les archéologues et les curieux :P). Le sang était une offrande qui servait notamment à fertiliser la terre (2). Je crois d'ailleurs me souvenir que, dans l'exposition Le Pérou avant les Incas, j'avais lu un encart qui disait qu'ils mélangeaient au sang une substance anticoagulante et qu'ils jetaient le mélange dans les champs. Pour des peuples de l'Équateur précolombien, "les sacrifices consistaient à offrir aux déités le sang de certains animaux et celui des prisonniers de guerre. C'était un sacrifice de mort pour que soit octroyée la vie. On offrait un trésor liquide en échange d'un autre trésor vital, l'eau, indispensable à la fertilité des champs." (3) Du coup, le sang revêt un côté un peu paradoxal, un peu comme les complément-contraires (le Yin et le Yang, typiquement), que je trouve intéressant. D'ailleurs, on le trouve aussi dans la couleur rouge, qui est à la fois la passion amoureuse et à la fois la colère, c'est une couleur avec du caractère. Je n'ai jamais eu peur du sang, et même je le recherche.

Ouvrir la peau


Je pique mon intertitre à Adrien Cascarino qui a écrit un article pour Champ psy en 2013. Je n'ai pas lu l'article, car le résumé ne correspondait pas à ce que je cherchais, mais je trouvais l'expression intéressante. Parce que, en fait, il s'agit un peu de ça pour moi : ouvrir la peau.

Aussi loin que je me souvienne (non, sans rire) je me suis toujours mordu l'intérieur des joues au sang, arraché la peau, parfois au sang... à peu près toutes les parties de mon corps y sont passées. Mes pieds : mes talons (rarement au sang), la peau autour de l'ongle du gros orteil et, par extension, la peau sur la première phalange ; mes mains : la peau de la pulpe des doigts, surtout l'index, qui mettait la dernière couche de peau à l'air et m'obligeait à replier mon doigt sur mon crayon et à guider le stylo avec mon majeur pour pouvoir écrire ; la peau de la deuxième phalange du pouce quand je suçais encore, sur la partie qui frottait contre ma langue, et je mettais le sang sur ma trousse, j'étais en primaire ; mais aussi la peau à la base du pouce, à la pliure avec la paume ; la peau à la base des ongles, encore aujourd'hui sur les pouces, tant et tant qu'elle a d'ailleurs de plus en plus de mal à cicatriser et à se reconstituer. Tout comme la muqueuse dans ma bouche ; sur l'une des parties que j'ai l'habitude de mordre (quand je suis stressée, surtout, ou pour "avoir du sang") il y a une "boule" dans le sens où ce n'est pas lisse, ça a mal cicatrisé. La peau des lèvres, classique.

Pour l'arrachage on a fait le tour, mais il y a aussi les parties de ma peau que je triture. Au collège j'avais jeté mon dévolu sur la dernière articulation du majeur, sur le dos de la main, au point que j'ai créé de nouvelles lignes de pliures qui n'ont rien de naturel. J'ai aussi fait la base du pouce, le coup, les lobes d'oreille, une partie de peau sous l'extrémité de la clavicule, avant l'aisselle, les coudes, les tétons, le nombril, la peau sur l'articulation des doigts, les lèvres, l'intérieur des coudes, et je crois que c'est tout. J'ai toujours fait ça. Certaines parties de mon corps ont été abandonnées et d'autres ont été les nouveaux jouets. Au point d'ailleurs où je ne me souvenais pas forcément de tout. Un jour au collège, dans les dernières années, une fille de la classe est venue me voir en me demandant si je me souvenais comment je triturais la peau de mon cou. J'avais oublié.

David Le Breton explique que la peau c'est l'enveloppe du corps, les limites de soi, qu'elle a une fonction de contenance qui fait qu'elle amortit les tensions venant du dehors et du dedans. Elle distingue le moi psychique du moi corporel. Baptiste Brossard (4), dans un article sur l'automutilation des adolescents, explique que l'avant-blessure est caractérisée par une émotion perçue comme "négative" (les guillemets sont de lui) à écarter pour ne pas la subir de manière passive (angoisse, stress, sensation de vide, tristesse, impression de ne pas avoir de valeur...). La blessure permet donc l'accès à la sensation recherchée pour chasser l'émotion précédente. Certaines personnes veulent ressentir la douleur, d'autres obtenir des cicatrices, et d'autres voir le sang couler. Alors bien sûr, mon cas est différent car je ne me scarifie pas. Quand je ressens confusément l'envie de voir du sang, une toute petite envie, j'obtiens satisfaction autrement. Mais je trouve que c'est quand même un éclairage assez intéressant sur comment l'esprit fonctionne. Même si le degré n'est pas le même que pour les personnes qui se scarifient, je pense pouvoir avancer que la nature du problème est plus ou moins la même.

Enfin, tout ça pour dire que mon rapport au sang et à mon corps n'est pas très... sain ? Et moi qui pensais que je ne craignais pas le sang, j'ai en fait découvert que c'est un peu différent.

Corps-machine


Il y a quelques années, trois ans, je dirais, pour un problème que je traîne toujours et que je crains le plus d'aborder ici car il est lié à d'autres choses plus psychologiques, même si je vais devoir le faire car ça entre tout à fait dans cet article et que je pense qu'écrire va pouvoir m'aider un peu, j'ai été faire une prise de sang. Voir les tubes se remplir ne m'a rien fait, comme ça ne m'a rien fait quand j'y suis retournée pour autre chose il y a quelques temps. Mais, quand j'ai commencé à me dire qu'ils m'avaient pris "tout ça" (quatre tubes) et que ça allait tourner dans des machines dans un laboratoire, j'ai vraiment commencé à me sentir mal, j'avais très chaud et un vertige. En gros j'ai failli faire un malaise x) J'ai recommencé quand l'hémorragie suscitée par l'arrachage de mes dents de sagesse ne voulait pas s'arrêter. En fait, ce n'est pas le sang qui me fait ça : c'est sa perte incontrôlée, et l'idée du corps-machine ou du corps-science.

Quand je me fais saigner, je maîtrise tout. Je maîtrise le moment (à tel point que, quand je suis dérangée alors que je viens de tirer la peau à la base de l'ongle du pousse, je me dis que je vais devoir cacher tout ça et que c'est quand même du gâchis), plus ou moins le flux (je peux appuyer sur les bords pour que ça sorte), et la durée. Quand je veux mettre fin à l'hémorragie, j'y mets fin. C'est l'idée d'une hémorragie incontrôlée et d'une perte de sang trop importante qui me dérange. C'est pour ça que je ne pourrais pas donner mon sang. Considérant en plus le fait qu'on a un truc dans le bras, une "machine", qui prend le sang. Et, ce qu'il y avait écrit sur la camionnette, que c'est naturel de penser au don du sang, est complètement faux.

Le don du sang n'a rien de naturel. Vous en connaissez, vous, d'autres mammifères qui transfèrent leur sang ? C'est complètement faux de dire que c'est naturel. C'est un truc de médecins en blouse blanche dans des laboratoires de science-fiction. C'est aussi ce corps-machine ou ce corps-science que je retrouve dans le don d'organe. Je suis incapable d'accepter de donner mes organes, même en sachant que cela pourrait sauver des vies, car ça n'a rien de naturel, mais ce n'est pas si raisonné que ça. C'est surtout que ça a l'air d'être un truc de scientifiques fous qui jouent à Frank Einstein. Mais du coup, je ne veux pas non plus recevoir d'organes. Si je dois mourir parce que mes poumons me lâchent alors je mourrai parce que mes poumons me lâchent. On finit tous par mourir. Je sais que mon refus est critiquable, mais il est lié à toute ma vision de la vie, et du corps, etc. Bref.

La peau et l'esprit, problèmes psychosomatiques


En faisant mes petites recherches sur les recherches de psychologie s'étant intéressées à la peau, je suis tombée sur un article de Philippe Jaeger (5) qui, reprenant Winnicott, parle des problèmes de peau (démangeaisons et autres prurits) en rapport avec des désordres psychologiques. Et, vous voyez, cet article m'a particulièrement intéressé car, précisément, j'ai un problème de démangeaisons au niveau des parties génitales depuis environ quatre ans, un peu plus, que le dernier médecin que j'ai vu a qualifié de prurit. Un prurit, c'est un problème auto-entretenu. Soit qu'il y avait quelque chose à la base qui a disparu mais que le fait de gratter a maintenu, soit qu'il n'y a jamais rien eu.

Winnicott dit que "les désordres qui affectent la peau, comme les prurits chroniques, dissimulent toujours des troubles psychotiques". Joie. Il prend l'exemple d'un enfant de trois ans perturbé par l'arrivée d'un petit frère. Il se touche le sexe compulsivement et se gratte. Pour Winnicott il s'agit d'un refoulement de la masturbation génitale, d'une lutte inconsciente entre le désir masturbatoire et la culpabilité. Et c'est drôle parce que, précisément, je pense qu'il s'agit de mon problème. En fait, depuis... je sais pas trop, mais j'ai un carnet qui met une date à l'été 2016, sachant que j'avais déjà commencé à considérer ça comme un problème... je me masturbe.

Rien de bizarre, me direz-vous, sauf que moi, je culpabilise. Pas que je craigne de devenir sourde, aveugle, impure, ou quoi que ce soit mais... ça me gêne, je n'ai pas envie. Et même si une carte oracle tirée m'a rappelée que je fais un choix, je suis toujours empêtrée là-dedans, dans une pulsion qui, je pense, en un sens, a remplacé des compulsions alimentaires assez légères que j'avais au lycée. Je mangeais des tablettes de chocolat devant la télé quand je me sentais seule ou que j'étais triste et j'avais beau manger une pomme avant, tant que je n'avais pas eu mes tablettes, je n'étais pas calmée. J'avais déjà un blog à ce moment-là, je l'avais écrit, ça m'avait été et les compulsions s'étaient arrêtées plus ou moins. Mais comme ce n'était qu'un symptôme, le problème s'est déplacé sur autre chose.

En fait, le côté pulsionnel et la culpabilité sont liés sans doute à mon rapport à mon corps. Je n'ai jamais aimé mes seins, par exemple. Pas à cause de leur taille ou de leur forme et rien qu'aucune chirurgie ne pourrait arranger. C'est leur existence même qui pose problème. Pas non plus que je sois transgenre : je suis une femme cisgenre, sans aucun doute. Mais, en fait, des seins, je trouve ça moche. On dirait des œufs au plat. Ou des yeux. Le sexe, on dirait un mollusque, c'est un peu crade. Je n'aime pas ces parties du corps.

Des fois, quand je songe à où s'arrête la peau, je pense qu'elle ne s'arrête pas : les lèvres donnent sur la bouche dont les parois descendent jusque dans l'estomac et le reste du système digestif, jusqu'à ressortir de l'autre côté, du côté de l'anus et de la vessie (sans doute cette vision est-elle inexacte du point de vue anatomique ?). En fait, ça ferait un peu comme si nous étions un sablier : avec une paroi extérieure et une paroi intérieure. Nos muscles par exemple prendraient la place du sable (même si les muscles ne coulent pas haha :P).

Philippe Jaeger s'intéresse à une patiente de Winnicott. Elle avait plusieurs prurits, "qui l'aidaient à se maintenir dans son corps". Et à échapper à la dépersonnalisation.

La dépersonnalisation signifie une dissociation entre le corps et l'esprit. Pour Winnicott la vraie maladie des gens qui ont des prurits, c'est la persistance de dissociations. Sur un ancien blog je vous avais parlé de ma sensation de dissociation entre mon corps et mon esprit, marquée par le fait que j'ai une très mauvaise coordination mais surtout pas trop conscience de mon corps. Par exemple, je ne peux pas savoir dans quelle direction est mon pied si je ne le regarde pas. Vous comprenez donc mon désarroi quand les enseignants des disciplines que je pratique (aïkido et volley) nous disent de ne pas regarder nos pieds, ou nos mains, qui sont respectivement à peu près au bout de nos jambes et au bout de nos bras. Et quand je fais un mouvement, en sport, ça m'arrive de ne pas me rendre compte de ce que je fais. Par exemple si je me concentre sur mes pieds, je vais perdre l'écartement entre mes coudes. Je me vis un peu comme un petit Rayman avec une tête, des mains que je vois, des pieds que je sens à peu près sur le sol, le haut d'un buste, et c'est à peu près tout. Je pense qu'il y a aussi une sorte de dissociation dans mon discours intérieur, et ma manière de m'adresser à moi-même (j'essaye de me corriger mais en ce moment je ne fais plus attention).

Winnicott explique que sa patiente ne parvenait pas à crier. Que le non-cri est une négation ou un effacement de choses très importantes qui relient la psyché et le corps comme pleurer, crier, hurler, se mettre en colère... c'est drôle parce que crier, genre crier dans un oreiller, ou pleurer, je ne sais pas le faire. J'ai eu un court sanglot il y a peu, mais pas assez pour tout extraire, et qui s'est vite tari, comme pressé de finir par quelque chose. Winnicott dit que le lien chez sa patiente peut se refaire si elle vit "une expérience émotionnelle de l'ordre du cri dans la relation transférentielle" qui est alors maintenu de manière artificielle par ses prurits. C'est assez intéressant de voir qu'en fait mes différents problèmes sont peut-être liés entre eux comme les pièces d'un puzzle qu'il faudrait refaire.

Ce qui est intéressant, aussi, c'est que je sens que l'aïkido m'aide beaucoup, de par les exercices de respiration qu'il propose (et que je parviens pas toujours à bien faire) et le reste, me forçant à toucher les autres et à être touchée par les autres dans un cadre (on n'a pas de raison de toucher les autres hors du tatami), et à me coordonner. L'année dernière j'avais remarqué qu'en revenant d'une séance d'aïkido j'étais capable de me mettre toute nue hors de la salle de bain. C'est drôle parce que j'ai une amie qui s'intéresse à la numérologie. Comme elle me parlait de son chemin de vie, j'ai décidé d'aller jeter un œil au mien, et mon chemin de vie dit que l'aïkido, les arts martiaux et le yoga, tout ce qui est respiration, peuvent m'aider. Alors bien sûr, pour ce genre de choses, il y a toujours une partie de nous qui cherche les points communs entre ce qui est dit et notre personnalité, cet effet a d'ailleurs un nom mais je l'ai oublié (avis à ceux qui s'en souviennent ;P).

Un autre article, de Katie Banks (traduit par Angèle Blondel) (6) traite de psychosomatique et des problèmes de peau en relation avec la psyché. Elle site Montagu pour qui les patients qui ont des problèmes de peau ont forcément un esprit détaché du corps. Il explique que la stimulation de la peau est essentielle aux enfants pour qu'ils sortent de leur propre peau et que ceux chez qui la stimulation n'a pas été assez importante peuvent se ressentir comme prisonnier de leur peau, comme si elle était une barrière qui les enfermait, et que ces personnes ressentent le contact comme une attaque visant leur intégrité. Je ne sais pas si le fait que je n'aime pas trop qu'on me touche peut s'inscrire là-dedans, je dois aussi faire attention au fait que je cherche des explications et que je peux être tentée de trouver des points communs à ma situation juste pour mettre du sens. Quoi qu'il en soit, après avoir cité Montagu, Katie Banks parle de l'un de ses patients qui était en manque d'intimité et de contact mais, en même temps, parce qu'il souffrait de psoriasis, craignait ces choses plus que tout.

Je suis aussi intéressée par le fait qu'une intuition que j'ai eu sur une dissociation corps-esprit puisse se vérifier ou du moins que mes recherches m'aient mise sur une piste. Mais je pense que je suis arrivée au bout de la compréhension de moi-même que je pouvais atteindre par moi-même.

Les solutions


Tout ça est bien beau, mais je ne pense pas que je pourrais seule trouver des solutions, si tant est que mon diagnostique soit bon (ceci dit je pense que j'ai toujours été pas trop mauvaise pour m'auto-analyser). J'ai commencé, du coup, à chercher une psychanalyste dans ma ville d'étude (dans laquelle je ne retournerai pas avant la rentrée, ce qui est un inconvénient mais a aussi l'avantage de me laisser le temps de digérer tout ça). J'en ai trouvé une qui accorde une grande importance à la relation corps-esprit, je pense donc que je ne pouvais pas trouver mieux ! Cependant, j'ai un peu peur d'être changée dans le sens ou je ne veux pas que mon rapport à mon corps soit modifié du tout au tout. Tout n'est pas un problème pour moi (par exemple ma relation au corps-science). J'ai aussi peur du fait de parler. Beaucoup de ce que j'ai écrit dans cet article, je ne l'ai jamais dit. Écrire, c'est facile, parler à un inconnu quand en plus on sait pas trop faire confiance aux gens, c'est un autre morceau. Ceci dit, la plus grande frayeur que peut se faire une personne qui ne fait pas confiance, c'est en s'imaginant que la personne en face va tout répéter. Or, un psy n'est pas censé répéter à qui que ce soit, même pas à mes parents, comme je suis majeure.

Bizarrement, cet article n'était pas si difficile à écrire, peut-être parce que je me suis savamment cachée derrière des articles scientifiques...

Je profite de la fin de cet article pour dire que le Don du sang a régulièrement besoin de donneurs, donc si vous n'avez pas de problèmes X ou Y, pensez-y ! :)


(1) Le Breton, David. « L’adolescence et la peau », Enfances & Psy, vol. 68, no. 4, 2015, pp. 70-82
(2) Uceda Castillo, Santiago. « L'architecture comme symbole de pouvoir », Le Pérou avant les Incas, Musée du Quai Branly Jacques Chirac, Flammarion, 2017, pp. 67
(3) Ontaneda Luciano, Santiago. « Chamanes et divinités de l'Équateur précolombien. Les sociétés de la côte centre-nord entre 1000 av. J.-C. et 500 apr. J.-C. », Chamanes et divinités de l'Équateur précolombien, Musée du Quai Branly, Actes Sud, 2016, pp. 118-119
(4) Brossard, Baptiste. « L'automutilation : un rituel à même la peau ? Modifier l'expérience par la manière dont on l'exprime », Enfances & Psy, vol. 49, no. 4, 2010, pp. 53-64
(5) Jaeger, Philippe. « Prurits, irritations chroniques de la peau et urticaire. « Quand il n'y a personne pour porter le bébé » », Revue française de psychosomatique, vol. no 29, no. 1, 2006, pp. 51-66
(6) Banks, Katie. « La peau en tant que contenant médiateur des relations entre soi et les autres : une exploration de la fonction psychologique des problèmes de peau », Actualités en analyse transactionnelle, vol. 152, no. 4, 2015, pp. 3-17