jeudi 25 avril 2019

Nomen falsum

Source – Makoto Shinkai/CoMix Wave Films
Il y a quelques jours je me suis dit que ça pourrait être intéressant d'écrire sur les questions de pseudonymat, d'identité sur internet, de ce que l'on dit et de ce que l'on ne dit pas de nous. C'est surtout parce que je suis pétrie de contradictions, et que ça pourrait être intéressant à explorer.

Si vous me suiviez sur mon ancien blog, vous savez que je suis partie parce que je voulais pouvoir parler plus de moi tout en ne voulant pas qu'on ne reconnaisse, que je trouvais en avoir trop dit sur ma vie (mes études, etc.). Mais, quand on y réfléchit, c'est un peu étrange de vouloir parler plus de soi tout en voulant de protéger, se prémunir, du fait que l'on sache que c'est "soi". C'est que, je voulais parler davantage de ma vie intérieure tout en voulant en dire moins sur mon identité vraie (en opposition au nomen falsum).

Serge Tisseron appelle le fait de vouloir parler de sa vie intime en public "extimité". C'est ce qui a donné son nom à l'un des libellés du blog. L'extimité, c'est révéler dans le public une partie de sa vie intime afin de mieux se les approprier par la suite en "les intériorisant sur un autre mode grâce aux réactions qu'ils suscitent" chez les autres (L'intimité surexposée, 2001, Paris, Ramsay). Et c'est ainsi que je voulais parler plus de moi en parlant moins de moi. Ce qui est très étrange, d'ailleurs, car quand j'ai créé ce blog j'ai créé une page "qui suis-je" avec mes centres d'intérêts et les études que je fais. Preuve que c'était encore flou dans ma caboche. Mais, d'un autre côté, et pour en venir au nomen falsum, mon pseudo ne dit pas grand-chose de moi, il n'est pas adapté véritablement d'un centre d'intérêt, d'une anecdote, ou de mon identité civile.

Mon précédent pseudo ressemblait à un prénom. D'ailleurs, il contenait une partie de mon véritable prénom. Celui-là, il cache tout. Je me serais appelée "Anonymous" que ça n'aurait pas été bien différent. C'est peut-être pour ça que je me permets des articles très personnels, comme le dernier sur le rapport au corps. Mais c'est aussi parce que, dans un article de 2001 disponible gratuitement ici, Serge Tisseron dit que le désir d'extimité est soumis à la satisfaction de l'intimité : on ne se montre que parce que l'on sait que l'on peut se cacher. Or, avec un blog qui marchait pas trop mal (mieux que celui-là, sans nul doute, d'autant que je suis nulle en réseaux sociaux et que Hellocoton est mort), des articles où j'en disais peut-être trop, un pseudo qui aurait achevé de lever les derniers doutes des personnes proches se demandant si c'était bien moi, la possibilité de me cacher pas assez grande. Et puis, aussi, sur internet, on peut décider d'ignorer la présence du public, et l'on n'est donc pas influencé par lui. C'est drôle d'ailleurs parce que, quand j'étais en Service Civique, on bossait dans un local où j'ai dit des trucs sur moi que j'avais dit à personne, j'avais un public restreint et l'impression que ce qui était dit dans le local resterait dans le local.

Je trouve ça intéressant de s'intéresser aux pseudos et aux noms de plume parce qu'ils permettent aussi de voir le rapport entretenu par le porteur avec son véritable nom. Par exemple, si un jour je suis publiée par une maison d'édition, ce que j'adorerais, je choisirais un nom de plume. Un nom de plume adapté de mon prénom, qui le séparerait en deux, pour recréer un prénom et un nom. Pour une raison toute bête. D'abord, j'aime cette nouvelle identité dans sa sonorité, et puis j'aime bien mon prénom mais, surtout, je porte le nom de l'un de mes parents, or, ça m'irrite lorsque l'on dit que je lui ressemble : je lui ressemble plus que je le voudrais. Pour moi, prendre un nom de plume, un nom d'artiste, c'est couper la filiation de mon identité réelle. Mais ça peut être aussi plus fonctionnel. Je me souviens d'une discussion entre membre du forum Jeunes Écrivains que je n'ai pas réussi à retrouver, une membre disait qu'elle avait choisi un pseudo de garçon pour se prémunir du sexisme qui voudrait qu'une fille ne doive écrire que sur les petits papillons et qu'une fille qui écrit des histoires violentes c'est bizarre.

Et puis mon nom de plume sera nécessairement différent du pseudo de mon blog : je joue sur une autre partie de mon identité. Ce qui est bien, avec le pseudo, c'est que l'on peut être soi sans être soi. Ce n'est pas du mensonge, comme le rappelle François Perea dans un article de 2014 (ici). Le rôle d'un pseudo c'est la protection et la projection de soi. Je trouve d'ailleurs que je mentirais moins avec un nom de plume qu'avec mon identité civile. Parce que quand j'écris je puise en moi et donc utiliser un nom que j'ai choisi me paraît plus... cohérent... Alors que l'identité civile, c'est un nom neutre, qu'utilisent autant les amis, que les membres de la famille (je n'ai pas de surnom et je me porte très bien comme ça), que les collègues, que l'administration publique... C'est un nom neutre, qui ne dit pas grand-chose, qui n'est pas très intéressant. Dans ce sens-là, je trouve assez intéressant les suffixes utilisés au Japon, qui permettent de qualifier le degré de proximité d'une relation, ce que l'on ne peut pas vraiment faire de manière aussi poussée en français même si on use de surnoms et du vouvoiement, dans la mesure où, par exemple, on dit aussi bien "Monsieur" à un prof qu'à un patron qu'à un inconnu dans la rue.

En fait, le nomen falsum, se rapproche un peu de la vérité, je trouve.

3 commentaires:

  1. Je suis d'accord avec toi pour dire qu'un pseudonyme peut finalement être bien plus personnel que le prénom avec lequel on est né. Tout dépend des pseudos, y'en a quand même qui ne vont pas chercher bien loin. Mais dans la démarche, je pense qu'à travers son pseudo on se crée son identité, on se l'approprie. Parce que son prénom on ne le choisi pas, c'est une tiers personne qui nous le donne. (Et je plains ceux qui ne l’apprécient pas d'ailleurs, ça doit être dur à vivre je trouve) Le pseudo c'est comme un "moi" amélioré aussi. Parce ce que sur internet on ose plus facilement des choses qu'on est incapable de faire irl alors qu'on en a envie. C'est peut être parfois ce qu'on tend à vouloir devenir. Bref, c'est beaucoup de choses ^^

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    1. Oui, effectivement je pense que c'est aussi un moi amélioré !

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  2. Ton article est intéressant. J'aime les pseudos où se cachent une part de l'indentité de l'auteur. Pour ma part mon nouveau pseudo "Princesse Petit Pois" me plaît beaucoup, elle a un trait qui me plaît beaucoup. A ce sujet, pour en dire moins sur soi, je viens de le remarquer en faisant mon site de développement personnel... Bisous !

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