mardi 6 septembre 2022

Je suis un gouffre

Source – ArtHouse Studio
Je ne sais pas comment titrer cet article, donc je verrai plus tard. Je vois la psy jeudi, il y aurait beaucoup de choses desquelles parler avec elle, mais je veux vraiment aborder le corps, cette fois ; je veux parler démangeaisons, ce qui va amener à parler relations sexuelles, j'imagine, rapport au corps. J'ai envie de parler de ça. De toute façon, c'est comme tout, c'est lié au reste, alors je peux bien tirer sur le bout du nœud que je veux : au final j'obtiens la même corde à la fin. Je coupe une séance d'écriture pour cet article, c'est dire si ça me travaille (des fois je me demande pourquoi je n'arrive pas à compartimenter mon esprit ; l'exercice des portes dans le couloir fonctionne assez bien, pourtant).

Je ne sais pas trop ce qu'il se passe chez moi, mais je m'accroche désespérément aux contacts sur internet. C'est très étrange, d'ailleurs, car avant j'ai l'impression que je le faisais moins. Ceci dit, j'ai peu de souvenirs de "avant", donc je ne sais pas trop, et puis je m'accrochais pas mal aux personnes de la vraie vie, camarades de classe, etc., même si c'était plus dans des projections que des envois de messages pour lesquels je m'inquiétais de ne pas avoir de réponse, je crois. Donc ce ne doit être qu'une impression. Ce qui est sûr, c'est que je parle avec beaucoup plus de personnes qu'avant. L'amie rencontrée il y a un an – celle qui rencontre une situation difficile –, un jeune homme qui m'a contactée sur Discord et qui doit être quelque part dans le coin à lire ces lignes (coucou ! :P), une membre du forum à laquelle j'avais demandé des nouvelles mais qui ne répond plus – je pense qu'elle n'a rien à répondre –, la membre qui m'avait contactée parce qu'elle avait l'impression que l'on pouvait bien s'entendre, et une autre membre qui m'a envoyé un message privé suite à quelque chose que j'ai dit dans un sujet, sur mon rapport à la nourriture ; il y a aussi une personne sur Discord qui m'a contactée d'abord pour une question d'écriture, nous parlons un peu de tout et de rien. Je parle aussi avec un membre que j'apprécie, surtout écriture et pas trop discussions perso – je crois qu'il n'a pas trop envie. Et puis deux amies, par SMS, de manière très irrégulière, comme on a presque toujours fait. Je n'ai jamais parlé à autant de gens d'un coup. Pourtant il y a...  neuf personnes. Ce n'est pas tant que ça, objectivement, si ? En tout cas, c'est à peu près sept fois plus que d'habitude ou depuis un certain temps. Je crois même que ce n'est jamais arrivé.

Je crois que c'est parce que je suis assez bien avec moi-même pour parler aux autres. Je suis aussi un peu plus active sur Discord et je dis des choses un peu plus perso sur le forum ; ça doit montrer une partie de ma personnalité et attirer des gens, j'imagine. Le problème c'est que, je m'accroche.

Par exemple, je n'ai plus de réponse de l'amie rencontrée il y a un an depuis à peu près une semaine. En soi, rien d'inquiétant dans le sens où avec mes autres amies on peut ne pas se parler plus longtemps que ça. Mais, simplement, je ne suis pas habituée. Depuis plusieurs mois, elle me répond plus régulièrement, et du coup j'en arrive à me demander si elle ne veut plus me parler. Le membre avec lequel je parle d'écriture ne m'a pas répondu pendant quelques jours, lui aussi, et quand j'ai reçu une réponse, je venais juste d'accepter le fait qu'il n'avait peut-être juste rien à me dire, ou qu'il en avait marre que j'écrive des pavés à chaque fois. En fait non, bien sûr : il a juste une vie, des trucs à faire, comme tout le monde.

Le problème des relations fictives c'est que l'on ne sait pas trop ce qu'il y a dedans, ce que l'on met dedans. Par exemple, avec l'amie rencontrée il y a un an, avec laquelle je parle sur Whatsapp, nous nous sommes construites je crois sur l'idée d'une acceptation mutuelle, d'une absence de jugement, de points communs au niveau personnalité/psychologie. Depuis quelques mois, du fait de sa situation, c'est plutôt elle qui se confie et moi qui gère, comme un journal intime qui répond. De mon côté, en tout cas, je sais que j'y trouve une personne dans laquelle me "projeter" dans le sens où je trouve une personne que je crois être un peu comme moi, et l'idée me rassure. J'ai aussi fini par comprendre que j'utilise le fil de la conversation Whatsapp comme une décharge de trucs qui m'arrivent, alors que ce n'est pas forcément intéressant, et que je pourrais juste sortir l'émotion en parlant à voix haute toute seule ou en écrivant sur un bout de papier, ou un brouillon de mail jamais envoyé. Je me demande si, du coup, c'est une vraie amitié, ou simplement, je ne sais pas, une espèce de décharge, où l'on se parlerait par besoin plutôt que par un intérêt mutuel.

Des fois je me dis que, s'il m'arrivait un truc grave, genre un viol (oui, j'ai ce genre de fantasmes un peu sombre et glauque), elle ne pourrait pas me réceptionner, parce qu'elle n'a pas le temps, que je suis un gouffre, et que la relation s'est basée plutôt sur un sens inverse. Plusieurs fois elle m'a dit qu'elle attendait le moment où elle pourrait m'aider à son tour, mais je crois qu'elle ne peut pas. Déjà parce qu'elle n'est pas actuellement en état et doit d'abord, en priorité absolue, se gérer elle-même ; et puis parce que si je suis un journal intime qui répond, on n'aide pas un journal intime. J'espère me tromper, ou j'espère que, si j'ai raison, nous pourrons faire évoluer notre relation vers autre chose, mais en fait, en l'état actuel des choses, je me demande si me parler l'intéresse vraiment, si je l'intéresse vraiment. Mais je sais aussi que souvent ma perception des choses et des situations, des autres, est liée à mes émotions, à mes humeurs, et que d'un jour à l'autre ça peut être complètement différent. Donc j'attends juste que ça passe.

Et je m'accroche. Ce membre avec lequel nous parlons d'écriture, j'adore quand je reçois un message. C'est bête, il ne dit presque rien de lui, au final je ne sais même pas vraiment quel genre de personne il est, c'est simplement une projection, un petit pansement sur mon cœur cabossé. Il m'intéresse, mais je ne sais pas s'il m'intéresse vraiment, ou si c'est juste l'effet de ma projection. Je crois qu'il m'intéresse, le sujet qu'il avait ouvert et sa manière de parler dedans m'intéressait avant la discussion en messages privés. Finalement, c'est un peu dur les relations humaines avec des relations fictives. Je cherche trop frénétiquement quelqu'un en qui avoir toute confiance, quelqu'un pour remplir le gouffre que je suis, et du coup ça influence ma manière de considérer les relations aux autres.

Je ne sais pas trop si je rattrape toutes les années passées à me couper de mes émotions (par exemple, je peux pleurer juste parce que je sens la vibration d'un concert de djembé dans mes poumons : est-ce que c'est de l'hypersensibilité ou juste l'effet d'un rattrapage ?), si le fait de me prendre en main, d'aller voir une psy, etc. me fait aller plus vers les autres, ou si c'est le signe que je me sens encore plus seule. En gros, est-ce un indice du fait que je vais mieux, ou un indice du fait que je m'enfonce ? Question un peu compliquée.

L'autre jour, j'ai eu une réponse beaucoup plus simple (comme ça, Petite ombre arrêtera de dire que je réfléchis trop huhu :P).
Si toutes ces personnes ne me répondent pas pendant plusieurs jours, alors, d'une part, je ne parle à personne de mes émotions, donc je ne les décharge pas et je les garde pour moi alors que, me connectant à elles, je cherche précisément à m'en débarrasser (et en même temps en parler en vrai c'est dur et même à l'écrit, des fois) ; et d'autre part, je ne parle à personne. Aujourd'hui, j'ai parlé à mon chef, j'ai dit bonjour à une dame d'un autre service, j'ai interviewé trois personnes, dont deux par téléphone, et je suis allée acheter du pain. Voilà. Donc si toutes ces personnes ne me parlent pas – ou que moi je ne me connecte pas sur les divers sites pour voir si j'ai une réponse et donc répondre à mon tour –, alors je ne parle à personne. Et en même temps, je ne peux pas leur dire (oui, je dis ça alors que certains lisent mon blog, mais j'ai décidé de ne pas me censurer ici, vu que c'est à peu près le dernier espace où je peux ne pas le faire), parce que si je leur dis, la pression devient trop forte.

Imaginez quelqu'un qui vous dit que, si vous ne lui parlez pas, il ne parle à personne ; que, les jours où vous n'envoyez pas de message, il ne parle à personne ? Si quelqu'un me disait ça, je trouverai ça horriblement triste, je me sentirais horriblement coupable de vivre ma vie sans penser à cette personne, et du coup je me sentirais sans doute obligée d'envoyer un message, ou bien je n'enverrais pas de message, mais une partie de moi se sentirait mal de ne pas l'avoir fait. Or, je refuse absolument de faire subir ça à quelqu'un. Je trouve ça horrible de faire peser une telle pression sur une personne qui peut-être ne va pas super bien elle-même. Je veux dire… quand on a besoin de parler à quelqu'un, on appelle SOS Amitié, et puis voilà (il y a sans doute un jour où ça m'arrivera, d'ailleurs…, je me suis dit ça, ce matin). Une relation d'amitié où l'un des deux au moins se sent obligé d'envoyer des messages et de répondre, même quand il n'a pas envie ou n'a rien n'a dire ou n'a pas le temps ou que sais-je, c'est une relation malsaine. Il n'y a aucune chance que ça dure. Ça fait juste souffrir tout le monde. Et puis ce n'est pas aux autres de gérer mon manque de réussite dans le domaine des relations humaines. De toute façon, personne ne peut. Je suis un gouffre.

Je suis sans doute dans un tel état de besoin affectif, de câlins, de confiance, que je suis un gouffre. Il suffit de lire les histoires – les romances – que j'écris en parallèle des romans pour s'en convaincre. Dans certaines, de plus en plus, d'ailleurs, le garçon finit très vite par prendre la fille dans ses bras à longueurs de pages. Je suis un gouffre. Le but, c'est d'être capable de me remplir toute seule. La psy est là pour ça, pour m'aider à détruire le gouffre ou faire le truc qu'on fait quand on a un gouffre dans le dedans. Mais personne ne peut le combler à ma place, ni le détruire à ma place, ni faire à ma place le truc qu'on fait quand on a un gouffre dans le dedans.

L'autre jour, quelqu'un (je ne savais pas si tu voulais que je mette le lien de ton blog donc je ne l'ai pas fait mais si c'est OK, je peux !) a commenté un article que j'ai écrit il y a à peu près trois mois. Je l'ai relu un peu en travers avant de lire le commentaire, pour me le remettre en mémoire. Je me souviens que, au moment où je l'ai écrit, je me trouvais très raisonnable, et stable, et "normale", dirons-nous. En le relisant, j'ai eu l'impression de lire l'article d'une autre, d'une fille complètement paumée et complètement par terre. Expérience très bizarre. Du coup, j'ai encore plus l'impression d'être un gouffre, et ça m'a fait un peu "peur" aussi, dans le sens où je n'ai plus eu l'impression d'avoir autant de recul que ça sur moi alors que j'ai toujours eu l'habitude de me regarder sous toutes les coutures.

Je suis un gouffre. Et je m'accroche aux autres, comme une moule à un rocher, pour ne pas tomber, ou pour ne pas avoir affaire à ce qu'il y a, au fond dans le noir.

Toutes ces discussions avec toutes ces personnes me font croire que je vois du monde, que j'ai une vie. C'est souvent ce que je dis, d'ailleurs ; qu'ils peuvent me répondre quand ils veulent, que je comprends qu'ils aient une vie. En creux, le sous-entendu est que, moi, je n'en ai pas. Mon amie sur Whatsapp m'a dit un peu légèrement que si, j'avais plein de trucs dans ma vie. Je cherche le "plein". Je voulais me remettre au japonais en septembre, j'ai raté ma première séance samedi, j'ai juste oublié. On était dimanche, je me suis dit : "je pourrais le faire aujourd'hui, à la place". Une partie rigide de moi a songé : "non, c'est le samedi". C'est pas gagné. Des fois je me dis que je pourrais m'engager dans plus de trucs, apprendre plus de trucs, mais ça me fait aussi peur parce que ça me ferait du temps en moins pour l'écriture, j'ai l'impression (alors que sans doute que non, puisque c'est du temps "libre").

Je suis un gouffre.