dimanche 21 novembre 2021

Rencontrer des gens

Source – Tomáš Malík
Une amie m'encourage à sortir et rencontrer des gens. Et, l'autre nuit, j'y repensais et tout à coup j'ai réalisé le problème. Outre que j'ai beaucoup de mal à faire confiance, je crois que ma peur du rejet est plus ancrée que ce que je pensais.

Je n'ai jamais eu trop de chance avec les relations humaines. En primaire, c'était un peu compliqué, déjà. J'ai passé des cours de récré entières à errer en chantant des chansons inventées. Je vous passe les histoires de "t'es plus ma copine" et de "je peux rejoindre votre groupe ?" et puis finalement non tu reviens dans le groupe d'avant (ou c'est pas mieux mais c'est moins pire). Puis il y a eu la fois où j'ai failli me noyer (je vous l'avais déjà raconté), alors forcément…

Puis après il y a eu le collège. Comme toujours, je m'accrochais très vite aux personnes. Je devais être un peu jalouse des filles qui avaient des "meilleure amie" et du coup je m'imaginais très vite que mon attachement à mes copines était réciproque. Et bien sûr, c'était une illusion. Du coup, les premières années, chaque fois que je proposais une sortie à une "copine", presque chaque semaine, en fait, elle me répondait que non, qu'elle avait déjà un truc de prévu avec une autre amie, toujours la même. Je ne me souviens plus si j'ai fini par comprendre qu'elle ne dirait jamais oui, mais je crois avoir par contre bien compris que passer du temps avec moi à ce moment-là ne l'intéressait pas et qu'elle aurait toujours une bonne excuse. Une année, je me suis retrouvée invitée à son anniversaire. Je crois que c'était plus par obligation qu'autre chose… Au moment de monter dans les voitures (il y en avait deux parce qu'on était nombreux entre les cousins et les amis) je me suis retrouvée toute seule dans l'une d'elle avec la mère de ma "copine" qui conduisait, à regarder les autres s'amuser en s'installant dans l'autre sans un regard pour moi (ou un "désolé" de politesse, peut-être). C'est la mère, d'ailleurs, qui a demandé à la cantonade si quelqu'un voulait pas monter avec moi. Puis ensuite, au bowling, je me suis retrouvée dans l'équipe des cousins, que je ne connaissais pas du tout et qui n'en avaient rien à faire de moi. Par chance, j'étais malade, j'avais un peu de fièvre, et c'est comme ça que j'ai pu m'échapper de cet enfer.

Une année aussi, je vois la même "copine" quelques jours avant la rentrée, je crois. Alors on se raconte nos vacances, etc. et je dis que c'était mon anniversaire. Elle m'a mis dans les mains une poignée de coquillages en prétendant les avoir achetés pour moi (ahem, personne n'est dupe, mais bref). Puis ensuite, à la rentrée (de la même année, dans mon souvenir mais peut-être pas), elle me met dans les mains une peluche assez bof en lâchant un truc du genre "tiens, joyeux anniversaire en retard" et ensuite elle m'oublie totalement pour s'occuper de la nuée de filles qui lui demandaient des nouvelles (enfin, dans mon souvenir c'est une nuée mais elles étaient sans doute beaucoup moins xD). Ma mère repérera des fils qui dépassent et une odeur de grenier : conclusion : ce n'est ni neuf, ni acheté pour moi.

Il y a eu aussi cet ami, années collège, qui commence à me parler par SMS. Vous savez, les fameuses conversations en "salut, ça va ? — oui et toi ? — oui". Il me demande ce que je fais ; je réponds et lui retourne la question. Il me dit : "je m'ennuie".
Ah.
D'accord.
Bon.
C'est très commun de commencer à parler à quelqu'un parce qu'on sait pas quoi faire à un arrêt de bus (ça fait des années que je le fais plus, j'ai arrêté de chercher à prendre des nouvelles des autres à partir du moment où j'ai compris qu'ils en avaient rien à faire de moi). Mais on ne le dit pas. J'ai vécu ça comme une grande violence, en fait. Je n'ai plus jamais parlé de la même manière à cet ami et chaque fois que, de temps en temps, les années suivantes, il commençait une conversation, j'y participais avec beaucoup de retenue parce que dans ma tête une petite lumière rouge s'allumait.

Je vous passe ma première année de lycée dans un bahut pourrave avec un entre-soi de gens de la classe moyenne-supérieure à moitié racistes et stupides. Je vous passe aussi les deux autres années lycée où je savais tellement pas nouer des liens qu'un jour en sortant de l'établissement je me mets à la hauteur d'un camarade de classe en espérant que ça crée quelque chose (spoil : non (évidemment xP)). Il y a aussi eu ma bêtise de jeter un coup d'œil à mon blog de l'époque en cours d'informatique. Pas de chance, je mentionnais des camarades de classe dans mon dernier article. Début de harcèlement mais bon, comme je suis une grande gueule ça s'est pas fini en suicide… Et même si j'appréciais beaucoup mes amies, l'année suivante, j'avais toujours conscience de n'être qu'une camarade, une espèce de bouche-trou, parce qu'elles rigolaient mieux avec les autres, parlaient mieux avec les autres…

À la fac, c'était guère mieux. J'ai mis la moitié d'une année à me faire une copine (que j'ai toujours aujourd'hui, je sais pas comment elle fait…!) et encore ! Par hasard… Je l'avais repérée, bien sûr (j'ai l'instinct pour savoir avec qui je vais bien m'entendre) mais j'avais jamais fait le premier pas – vu le passif, en même temps, c'est pas étonnant. On s'est retrouvées à côté en cours (me serais-je assise là exprès ? me souviens pas) à regarder le livret de textes pour en choisir un sur lequel faire un exposé. On s'est intéressées au même. Moi, dans ma tête, j'étais déjà à en chercher un autre au cas où le prof lui demanderait avant. Puis elle m'a demandé si je voulais qu'on bosse ensemble. Voilà, c'est tout. Mais là encore, elle avait déjà des copines, des filles qu'elle connaissait d'avant, des filles plus proches, et moi, comme je sais pas me rapprocher des gens, on reste à la case départ.

Ça a pas été mieux en Master. J'ai eu le malheur de faire une première intervention assez vindicative et du coup j'ai réussi à être détestée de toute la promo pendant un an… puis encore à la moitié de l'année suivante x) C'est quand on a commencé à avoir beaucoup de travail et à passer des journées entières tours seuls dans la salle de montage vidéo que ça s'est amélioré.

Parallèlement à ça, il y a mes rencontres en club d'aïkido : jamais réussi à me faire des amis. Je sais que certains se voient en dehors, que des couples se forment, etc. Mais moi jamais. Enfin si, avec une très gentille dame, mais ça n'a pas résisté à mon changement de région… Jamais réussi, je vous dit. En Service Civique, je m'entendais bien avec les jeunes de l'autre asso, mais pareil, petit pincement quand j'ai réalisé que certains se voyaient à l'extérieur.

Faut dire aussi que j'ai pas mal de fantasmes un peu gamins… Par exemple il y a quelques semaines je suis sortie en soirée pour suivre la visite extérieure d'un château fort au flambeau. Ça devait servir pour mon roman (ça, ça a réussi), et me faire voir des gens (ça, ça a raté). Sauf que les gens, ils sortent pas tout seuls comme moi : les gens ils sortent en famille ou entre amis. Donc ils vont pas commencer à parler à une meuf toute seule. Bref.

En vrai, je veux bien rencontrer des gens (j'ai vu que les gens de la radio depuis que je suis ici), mais je ne sais pas faire. Même si j'allais au bar, je serais là avec mon verre, mon livre ou à regarder les gens par la fenêtre, et il y aurait sur ma tronche cette fermeture caractéristique des gens que t'approche pas parce que tu sens bien que tu vas les déranger. Donc personne viendrait me parler. Et moi je parlerais pas aux autres parce que je ne sais pas faire. Je ne sais pas aborder les gens. Sous quel prétexte ? Pareil si j'allais dans une salle de sport. Personne viendrait me parler, à part peut-être l'employé pour venir me dire que je tiens mal mes haltères.

Dans le fond, j'ai envie de tisser des liens avec des gens. Je suis assez envieuse des gens qui ont des amis très proches depuis très longtemps. Même si je suis le cliché de l'introvertie de base, j'ai quand même besoin de ma dose de relations sociales, même si elle est toooouuute petite par rapport à la dose d'une personne normale extravertie. Sauf que j'ai profondément intégré, par expérience, que je ne peux intéresser personne à moins d'un miracle (comme la copine qui m'encourage à sortir : on a commencé à parler par MP sur le forum d'écriture dont je suis membre et on a accroché, mais ça, c'est grâce à un internet : dans la vraie vie ça n'aurait jamais été aussi rapide !).

Je ne sais pas si c'est bon signe que je commence à arrêter de me dire : "elle doit plus m'aimer/me supporter" quand quelqu'un met un peu de temps à répondre à un message. D'un côté, on pourrait se dire que ça signifie que j'ai plus confiance en moi, que je m'estime plus. Mais de l'autre, c'est peut-être juste que je suis blasée, découragée, et que je sais qu'on me parle que juste comme ça… Je veux dire… cet été une ancienne blogueuse d'à peu près mon âge avec qui je m'entendais plutôt bien a relancé un échange de mail qui datait de plus d'un an. Elle s'est excusée, sincèrement je pense, et on a recommencé à parler ; mais depuis la rentrée et la reprise de son travail, j'attends encore une réponse… Si elle s'intéressait vraiment à moi, elle trouverait deux secondes pour me répondre, je pense… Et c'est comme ça tout le temps. Je crois que je suis juste, je ne sais pas, désespérée.

Je suis trop fragile, trop blessée pour tenter de nouer des liens avec des gens. Si ça se fait, ça se fait. Si ça se fait pas, c'est comme ça. Alors bien sûr, si je sors jamais de mon bureau et que je passe mes jours sur mon roman, je risque pas de voir grand monde, donc ça se fera jamais. Mais si je sors, ça ne se fera pas non plus, et j'aurais eu tellement d'espoirs déçus que je reviendrais déprimée de ma sortie. Je ne pense pas que, psychologiquement, je puisse encore me permettre de prendre le risque de parler à quelqu'un et d'être rejetée parce qu'on me trouvera pas intéressante, perchée, bizarre… Il y a trop de changements en moi actuellement, qui me fragilisent encore plus (et par-dessus ça un questionnement est venu se rajouter, j'en reparlerais !), pour que je prenne ce risque. En sachant déjà le résultat. Donc je vais attendre encore un peu, et me contenter de prendre les discussions basiques. De toute façon, on sait bien que, sociologiquement, on se fait rarement des amis une fois qu'on a commencé à travailler. On a des collègues, etc. mais les amis sont ceux de la scolarité, plutôt. (Oui, je me cache derrière la sociologie et les statistiques, c'est moche, hein ?)

Donc, pour le moment, je crois que je vais rester un peu dans mes fantasmes, ceux qui à la fois me cautérisent, et à la fois creusent encore plus le manque et l'envie. C'est un peu comme creuser un trou pour en boucher un autre. Mais c'est à peu près le seul truc qui fait "tenir" la digue. Et comme j'ai toujours pas de psy (parce que je veux celle que j'ai repérée et pas une autre parce que je marche à l'instinct et que c'est elle que je "sens" bien (de toute façon il est fort à parier que vue l'état de mon département pour ce qui est du médical, les autres psy me mettent sur liste d'attente aussi)) il faut bien que je fasse tenir la digue.

Comment on fait pour rencontrer des gens ?

mardi 16 novembre 2021

Corps en chantier

Source – Engin Akyurt
J'emprunte mon titre à une exposition sur le sculpteur Ipoustéguy. Je trouvais que ça collait plutôt bien à mes problématiques du moment autour de mon corps.

Il y a très longtemps à l'échelle d'un blog, j'avais fait un article sur le rapport que j'entretenais avec mon corps. J'ai la sensation que beaucoup de choses sont en train de changer, actuellement. Par exemple, je suis un peu moins mal à l'aise d'être nue hors de la salle de bain. Depuis quelques semaines/mois je dors sans pyjama, juste en culotte, alors que j'ai toujours détesté ça. Ça m'a prit un peu d'un coup : c'était pendant mon année de chômage, à moitié confinée avec ma famille, tout à coup je n'ai plus supporté la sensation de mes vêtements sur ma peau. Ça me le faisait même en journée. J'ai commencé à dormir sans, pour n'avoir que la couette sur moi et ma propre peau. Je pensais que ça me passerait, mais en fait non. C'est très bizarre parce que ce sont des changements qui se sont fait de manière très brusque.

Il y a aussi mon regard sur mon corps, qui fait toujours la bascule. De loin, dans le reflet déformé d'une vitre, j'aime à peu près la silhouette et puis, en sous-vêtements dans le miroir, avec la graisse, la peau, etc. rien ne va plus et je trouve ça presque dégoûtant… Puis à un autre moment je vais me dire que ça va. Puis la seconde d'après, de puis près ou sous un autre angle ça n'ira plus du tout. J'imagine que ça fait ça à un peu tout le monde, mais j'ai l'impression que chez moi c'est toujours sans demi-mesure : soit je me trouve presque sexy, soit le complet inverse.

Avec ma difficulté à m'adapter à la reprise du boulot, j'ai aussi récupéré des manifestations de stress. En fait, je ressens assez peu mon stress ou disons qu'il faut que je sois très stressée pour le reconnaître. Je sais que je suis stressée quand je commence à reprendre certains tics. Par exemple, j'ai recommencé à triturer ma peau à la base du pouce. Il y a quelques années je le faisais tellement souvent que de la cale s'était formée ; c'est un peu en train de revenir. Je recommence aussi à me mordre l'intérieur de la joue au sang.

Ce qui m'embête vraiment, avec ça, c'est que ma bonne résolution de 2021 c'était de prendre soin de mon corps. C'est complètement raté. Les mois ont défilé à la vitesse de l'éclair et je n'ai progressé sur rien. Pire, j'ai même régressé sur un certain nombre de choses. Heureusement, je vais reprendre l'aïkido demain, ça devrait m'aider à reprendre un peu possession de mon corps, de ses limites (j'entends par-là ses limites dans l'espace, le volume qu'il prend quand il se déplace, ses frontières). D'ailleurs peut-être que c'est une histoire de frontière du corps qui explique que je ne supporte plus mon pyjama ?

J'ai aussi de plus en plus conscience de mon envie (besoin ?) d'être touchée, de toucher les autres et plus précisément de savoir ce que ça fait de toucher la peau de quelqu'un avec sa propre peau. Le truc c'est que je ne suis vraiment pas tactile. Je déteste qu'on me touche. Au collège, j'avais commencé à refuser de faire la bise à mes amies. Quand ma sœur essaye de me faire un câlin par surprise, je suis vraiment très mal à l'aise. À l'aïkido ça va parce que l'on se se touche pas n'importe comment. En gros, ça s'arrête aux bras (parfois la tête) et c'est normé. Chez le médecin ça passe aussi, à peu près. C'est un peu… comme un conditionnement, comme si je m'étais "dressée" (je ne sais pas comment expliquer autrement) : je sais qu'on va (potentiellement) me toucher donc je suis préparée. Mais sinon, tout ce qui relève du "toucher social" (les accolades, les mains sur le bras et compagnie), c'est très difficile. Du coup, je peux bien avoir envie ou besoin d'un "peau à peau", c'est pas demain la veille que je vais l'avoir (sans même compter que pour ça il faut avoir des gens avec qui le faire, m'voyez, et que j'ai toujours du mal à faire confiance aux gens).

Je réfléchissais tout à l'heure et je me demande à quel point les changements dans ma psychologie, les barrières qui tombent, ne se font pas encore plus vite depuis que je me suis retrouvée sur liste d'attente de la psy. Dans le sens où je me demande si c'est possible que ça ait "tenu" jusqu'à ce que j'emménage et que je sois en mesure de prendre rendez-vous, mais que maintenant que la date est repoussée à un instant inconnu et sur lequel je n'ai ni contrôle ni maîtrise, tout lâche. Je ne sais pas si c'est possible. Mais ce que je sais c'est que je me retrouve à verser ma petite larme pour tout et n'importe quoi. Un reportage à la radio, un dessin animé… ce qui est aussi très nouveau avec ma relation avec mon corps, vu que j'ai passé des années, depuis le collège, pendant lesquelles je m'empêchais de pleurer (à ne pas faire, c'est mauvais pour la santé !). Je n'en suis pas encore à sangloter et pourtant il faudrait…

Du coup, je me demande dans quelle proportion mon sentiment d'être un peu perdue vient de mon corps que je perds un peu dans le sens où à la fois tout est pareil (je n'ai pas pris ou perdu beaucoup de poids ou de muscle, par exemple) et à la fois tout est différent (dans mon regard, dans ce que je peux faire ou pas (je n'ai pas fait de sport pendant un an et demi donc j'ai reperdu tout ce que j'avais gagné en terme de souffle, par exemple), dans ses frontières). Et en même temps, même si les changements ont été brusques, rien n'est différent du tout au tout. Ce sont des changements suffisamment marqués pour être sentis, et en même temps pas spectaculaires non plus. Ce qui est encore plus troublant, pour moi, je crois. Je me demande aussi dans quelle mesure le fait que je n'aide pas mon corps à être en accord avec l'état où il serait mieux avec lui-même, plus en accord (j'ai les cheveux un peu longs, par exemple, mais pour le moment j'ai d'autres priorités que d'aller chez le coiffeur), ne rajoute pas une toute petite goutte, juste suffisante pour troubler un peu plus l'état des choses. Et dans quelle mesure le fait que je ne respecte pas les promesses que je me suis faite (prendre soin de moi, aller me faire masser, aller chez le coiffeur, faire mes exercices pour me tenir plus droite, les étirements du dos, etc.) n'altère pas encore un peu plus la relation entre corps et esprit. En gros, c'est un peu le bordel.