mardi 7 mars 2023

Seule

Source – Masha Raymers
J'avais déjà parlé de solitude ici, quand j'ai parlé de l'insécurité intérieure, je crois (je ne sais plus trop, je n'aime pas relire les anciens articles, parce que quand je les écris j'ai l'impression d'être très pragmatique et d'avoir les idées bien claires, et quand je les relis plus tard, j'ai l'impression souvent de relire une fille différente, complètement perdue et pas très censée, donc j'évite de me frotter à la moi-du-passé), mais ces derniers jours (semaines ? je suis un peu perdue dans le temps, aussi, il se resserre ou se dilate, c'est bizarre) je me rends compte à quel point ça me pèse.

En fait, j'ai réalisé qu'aujourd'hui je parle seulement à des "relations fictives", des êtres numériques avec lesquels une discussion du tac au tac est presque impossible, où il faut régulièrement des heures, des jours, des semaines, parfois, pour avoir une réponse. Ça ne me gêne pas, dans le sens où les personnes donnent ce qu'elles peuvent donner, et je m'emploie à ne pas demander plus que ce qu'elles peuvent donner, mais je me rends compte que de n'avoir que ce genre de discussions en décalé me pèse, en fait.

J'ai toujours parlé à des gens sur internet, via les blogs, les réseaux sociaux que j'ai eu puis abandonné, mais j'ai toujours eu aussi des personnes à qui parler "en vrai", qui répondent quand on parle, depuis les amitiés chaotiques de la primaire jusqu'à celles plus solides de la fac, ou même ma collègue en Service Civique l'année dernière avec laquelle nous parlions parfois, souvent, presque tous les jours, de choses plus personnelles que le travail. Mais cette année, plus de Service Civique. Je ne parle pas beaucoup aux personnes de l'aïkido (et comme je suis fatiguée en ce moment, ça fait un mois que je n'y suis pas allée, j'espère pouvoir demain, puisque a priori je ne ferai pas la technique de l'émission spéciale jusqu'à vingt heures), et je ne me suis pas fait d'amis, ici – et maintenant que je cherche à partir, je me dis que ça ne sert à rien de me faire des amis en chair et en os, pour les numériser une fois que j'aurais changé de travail.

Parler au téléphone avec une copine de fac l'autre jour m'a fait du bien, je crois, mais malgré ses démentis j'ai quand même eu l'impression qu'elle ne voulait pas vraiment parler, ou pas à moi, en tout cas.

Je dors mal, en ce moment. Je me réveille, je dois aller aux toilettes, et je tourne une heure – ou plus – dans mon lit avant de me décider à me lever, alors que j'arrive assez bien à me rendormir ensuite. Il y a ce truc très étrange, aussi, c'est que je sais que j'ai besoin de voir du monde et de parler à du monde mais quand ça devient possible, j'ai peur. Quand ma copine de fac m'a proposé une date proche, je me suis dit : "mince, je voulais écrire". Je me sens piégée quand je ne peux pas lire ou écrire ou corriger parce que c'est ma soupape, ma liberté, et quand les circonstances font que c'est impossible, je me sens acculée. C'est désagréable. Bon, de toute façon j'étais trop fatiguée ce jour-là pour faire quoi que ce soit d'autre. Pour téléphoner, je me suis carrément allongée dans le lit. Le sommeil s'est un peu amélioré, mais j'ai traversé quelques nuits pénibles, faites de plusieurs réveils et rêves glauques, culpabilisants et d'atmosphère pesante.

Le fait de ne parler qu'à des gens numériques qui ont "d'autres choses à faire" que de parler "à une fille comme moi" (quoi que je n'utilise plus trop cette expression dans cette circonstance en ce moment ; je me contente d'un très neutre "avec moi") me donne une drôle impression de solitude, comme si je parlais à des gens qui n'existent pas, ou que j'étais dans un autre monde, séparée, comme dans une petite cage et on me regarde quand on daigne le faire, enfin je ne sais pas comment dire.

Je vous avais raconté quand j'ai touché avec mon pied à travers le drap la petite chatte écaille de tortue que j'avais en famille d'accueil. Je me suis sentie reliée. Ben là c'est un peu pareil, mais dans l'autre sens : je me sens perdue au milieu de nulle part, esseulée. Et comme je n'aime pas mon travail (je commence les candidatures, j'en ai fait quelques unes dans des librairies, mais je n'ai pas les diplômes, alors on verra bien) je ne peux même pas me jeter dedans. Quand je suis au travail, ça m'arrive de recharger la page Discord toutes les dix minutes pour être sûre qu'il n'y a pas de nouveaux messages, que je ne peux parler à personne. Ça m'arrive de songer lancer une discussion juste pour avoir une réponse, juste pour avoir une conversation, et je me trouve plutôt très conne.

Et en même temps je ne voudrais pas d'une bande d'amis qui passerait son temps à vouloir m'inviter à des trucs et m'empêcherait d'écrire, m'empêcherait d'avoir la haute dose de solitude dont j'ai besoin. Je crois qu'il y a une espèce de cercle vicieux : moins je suis entourée, moins j'ai envie de voir du monde. Je veux en voir plus et en même temps je crains de souffrir de ces rencontres, de perdre ma liberté, de ne pas savoir m'affirmer.

Mais j'ai quand même envie de parler à quelqu'un.

L'idée d'appeler SOS Amitié m'a déjà traversé l'esprit, mais le standard est tellement saturé par des gens qui ont des problèmes bien plus importants que les miens que je crois que je m'en voudrais si j'avais une personne pour décrocher au bout du fil alors que d'autres appellent plusieurs fois dans la journée sans avoir personne. Je sais aussi que je suis capable de me gérer, je n'ai pas besoin d'avoir recourt à ce genre de dispositif, je pense.

Je me demande aussi à quel point le travail avec la psy a son rôle à jouer, dans le sens où peut-être qu'avant ça ne m'aurait pas dérangée, ou peut-être je ne l'aurais pas consciemment ressenti, ce besoin de voir du monde, de parler à quelqu'un qui répond. Je ne sais pas.

Du coup, j'essaye de me réfugier dans les romans, ceux que j'écris et ceux que je lis. Et puis dans les fantasmes, aussi. Ceux dans lesquels je rencontre des gens qui respectent aussi mon besoin de solitude. Le problème, c'est que j'ai l'impression que beaucoup de personnes le prennent mal quand vous dites que vous ne voulez pas sortir (avec eux).

Du coup, j'écris sur mon blog, où la réponse ne sera pas immédiate non plus.

7 commentaires:

  1. Tu parles d'un cercler vicieux et en effet j'y ai pensé aussi en te lisant...
    Ce n'est pas facile, je pense pouvoir te comprendre.
    Je me retrouve dans certains de tes points mais en moins extrême.
    En fait tu aimes la solitude mais tu as quand même besoin d'avoir un peu de social, d'un peu d'échange, et pour de vrai et non pas derrière un écran.
    Tu veux que je te rassure ou pas? Tu sais je suis mariée et j'ai trois enfants mais il m'arrive un peu trop souvent de me sentir seule aussi.... Mais tu vas me dire que cela n'est pas pareille car si je veux je peux quand même avoir un échange avec un des membres de ma famille. C'est vrai, c'est une autre forme de solitude.
    Rien n'est parfait pour personne. Mais je continue de dire que c'est la société actuelle qui crée de plus en plus ce genre de malaise, je n'aime pas comment est devenu le monde et comment deviennent les gens....
    Allez courage !!!!

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    1. Je trouve au contraire que c'est pareil, parce que comme tu dis, ce n'est pas la même forme d'échanges ! On peut être entourés de gens et se sentir seule quand même. Quand j'étais encore chez mes parents, je me sentais déjà seule. Aujourd'hui, pendant que j'étais en train de faire des trucs à la radio, je m'ennuyais. Et pourtant j'étais active. Sentiment bizarre, d'ailleurs. Je crois que c'est un peu pareil avec le sentiment de solitude.

      Je crois que l'on n'apprend plus à être ensemble, aussi.

      Merci !!

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  2. Une fois de plus je me reconnais dans ce que tu écris !
    moi aussi je souffre de solitude mais je vois bien que je ne fais rien pour y remédier, je dirais même pire, je ne fais qu'aggraver cette solitude.
    Après Noël, j'ai totalement oublié "ma copine", je ne l'ai plus appelée, je ne lui ai plus écrit de sms. je l'ai totalement oubliée. Maintenant, je culpabilise, je me dis que c'est trop tard pour lui envoyer un message du genre : " coucou, comment tu vas ? " "ça fait longtemps qu'on ne s'est pas parlé ! " Remarque, elle non plus n'a pas cherché à me contacter... Et en réfléchissant, j'éprouve juste un petit malaise mais pas un manque. Je me dis parfois que je ne suis pas normale... Et en ce moment j'ai beau chercher, je ne parle à personne réellement. Quelques discussions banales entre collègues, ma fille est loin, mon fils m'oublie très rapidement. mais ce qui ressort je trouve, c'est que je me sens très égoïste, je ne pense pas aux autres... et je me sens seule...

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    1. Quand j'ai commencé à lire ton commentaire, je me suis dit pareil "en même temps, elle n'ont plus t'a pas contactée". À une période j'ai couru après les gens, avec toujours l'impression que les conversations n'iraient pas très loin. maintenant j'arrête. Je demande des nouvelles quand ça m'intéresse, mais dans le fond j'aimerais bien qu'on m'en demande aussi. Ça n'arrive jamais. Enfin si, c'est arrivé une fois l'année dernière avec une copine de fac (mon ancienne collègue en Service Civique le fait aussi de temps en temps). Tellement extraordinaire que je m'en souviens…
      Je ne pense pas du tout que tu sois égoïste, au contraire ! Je crois que quand on a été blessés par des relations antérieures, on ne se livre plus dans les relations qui suivent, on attend la personne qui, elle, voudra se livrer.

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  3. Ah la la, je ne sais pas quoi dire, ou bien par où commencer. J'me sens un chouilla concernée, bien qu'en fait tu ne pensais peut être pas du tout à moi en écrivant cet article - j'me donne trop d'importance *O*. Mais pour te donner mon point de vue dans mes réponses tardives, à aucun moment il s'agit d'avoir mieux à faire que de discuter avec "quelqu'un comme toi" ou "toi". J'ai certainement dû frustrer un nombre incalculable de gens dans ma vie à cause de... j'sais pas trop, ma difficulté à m'engager ? dans une quelconque relation, que ce soit avec des personnes plus proches ou un relationnel comme on pourrait avoir toutes les deux. (Enfin à une période ou on discuttais un peu plus souvent) Ce charabia pour dire que ça ne vient pas de toi. (Je venais en plus de te répondre - enfin - sur Insta avant de venir lire ton dernier article ^^')
    J'ajouterais que je me reconnais dans pas mal de points que tu abordes dans ton article, et ce passage en particulier me fait beaucoup écho : "moins je suis entourée, moins j'ai envie de voir du monde. Je veux en voir plus et en même temps je crains de souffrir de ces rencontres," ça rejoint peut être ce que je disais plus haut sur mon incapacité à m'engager auprès de qui que ce soit. Besoin de me protéger du monde, insociablilité et mysanthropie. C'est un super cocktail ^^ Pourtant parfois je recontre (virtuellement 99% du temps) des personnes que je trouve intéressantes, avec qui j'apprécie échanger (comme toi par exemple, vu qu'on parle de toi au départ) mais y'a toujours un moment ou je retourne dans ma coquille.
    Je me dis qu'il y a un fossé énorme entre ce que je ressens vis à vis de certaines personnes et ce que je montre à ces même personnes. C'est bête.

    Mon commentaire me paraît tellement négatif d'un coup ! Et auto-centré TT
    Mais je comprends ton ressenti. Le hic c'est que j'ai pas de solution à t'offrir. Le monde à de plus en plus évolué en ce sens avec l'explosion des réseaux sociaux, c'est presque la norme d'avoir cetype d'interraction avec le genre humain maintenenant...

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    1. Ça me dérange pas les commentaires auto-centrés, au contraire j'aime bien les histoires des autres !

      Non, je ne pensais pas du tout à toi en écrivant cet article, enfin c'était une impression générale, en fait je ne vise personne, et je sais que les gens sont occupés, travaillent, etc. L'écart est d'autant plus violent que je m'ennuie à mon travail, donc au moment où je suis censée bosser et avoir moi aussi autre chose à faire que de parler à des amis ou connaissance, ben en fait non, et je me sens encore plus esseulée à cause de se décalage. Mais non vraiment je sais profondément que je suis à côté de la plaque quand je pense que ça vient de "quelqu'un comme moi" (je ne voulais pas te mettre mal à l'aise ou te peiner avec mon article !! \O/) mais c'est une espèce de pensée automatique. Si les gens voulaient vraiment me parler, ils me parleraient. En fait je crois que quelque part dans un coin de ma tête je normalise les gens. Par exemple, si quelqu'un me répond souvent le mardi, je vais partir du principe que j'aurais des réponses le mardi, et si j'en ai pas, je suis déçue, et quand je fil en aiguille en fait j'ai eu des réponses réparties sur tous les jours de la semaine, je ne peux plus me trouver d'habitude, de jour à attendre, etc.

      Je vais faire avec toi ce que ma psy fait avec moi : c'est faut que tu es incapable avec qui que ce soit, puisque tu es mariée ! ;) (enfin sauf si t'as oublié de me dire un truc) Donc il y a au moins une personne ! ;)

      Je comprends cette difficulté à s'engager, par peur d'être blessée, aussi, ou de se sentir obligée de. C'est pour ça que de plus en plus je ne demande pas plus aux personnes que ce qu'elles peuvent donner. Donc je relance peu. Une copine de lycée a arrêté de me répondre pendant 1 mois, je n'ai pas relancée, j'ai attendu qu'elle me réponde. J'attends. Quand ça commence à faire vraiment un sacré bout de temps, je demande des nouvelles, mais il faut que ça fasse vraiment un sacré bout de temps, genre plusieurs mois.

      Je ne trouve pas ton commentaire négatif du tout !
      Je trouve ça triste si c'est une norme de ne plus parler que sur internet. On dirait un pitch de dystopie SF.

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    2. Non, non t'inquiètes je n'ai pas du tout mal pris ton article.

      J'avais peur que tu rebondisses là dessus ! xD "Je vais faire avec toi ce que ma psy fait avec moi : c'est faut que tu es incapable avec qui que ce soit, puisque tu es mariée ! ;)" Quand j'ai commencé à écrire mon commentaire j'allais ajouter une parenthèse à ce sujet mais finalement c'était long et je trouvais que mon message avait l'air de trop s'éparpiller alors j'ai effacé lol. Alors effectivement je suis mariée. Mais dans les faits, Monsieur Krevette m'a déjà "reproché" plusieurs fois de ne jamais dire "je t'aime", de ne pas être très câline,etc... parce que même avec lui j'ai toujours ce "réflexe" de vouloir me protéger des sentiments et donc de garder une sorte de "distance" émotionnelle. Je suis hyper empathique qui plus est, donc c'est parfois difficile pour moi de gérer mes émotions tout en étant aussi touchée par celles des autres. Ca fait trop. Donc je mets un bouclier.

      Perso je suis plus à l'aise d'échanger avec le genre humain sur internet que IRL alors je ne m'en plains pas x') Ca permet d'avoir les deux : de l'échange mais rester seule dans ma bulle aussi. Mais je peux comprendre que de cette manière on puisse se sentir seul.

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