dimanche 30 août 2020

Journal d'écriture, mois 6

Source – Dominika Roseclay

Panique à bord. C'est la panique à bord. Je me rapproche tout doucement de la fin. Cent-trente-mille mots, que j'ai passés. C'est la panique à bord. En fait, un personnage doit mourir. Pas pour le plaisir, pas pour faire pleurer à chaudes larmes (ce n'est même pas vraiment un personnage principal ni un personnage à qui on peut vraiment s'attacher (d'ailleurs peut-on s'attacher à l'un de mes personnages ?)) : il doit mourir pour l'histoire, parce que c'est ce qui va régler la situation. Sauf que cet homicide eh bien... je ne sais pas encore vraiment ce que je vais écrire.

Déjà, je me suis lancée dans l'écriture du roman sans savoir encore si ce serait un homicide volontaire ou involontaire. Sans savoir qui allait le tuer, enfin c'était surtout que le personnage que j'avais mis là-dessus n'a pas les bons ressorts psychologiques, les bonnes motivations, pour faire ça. J'ai fini par décider comment il allait mourir, par la main de qui, quand, pourquoi, etc. Vous allez me dire : où est la raison de paniquer ? C'est très simple : le moment juste avant le meurtre, l'instant où ça bascule, est encore flou : je dois placer certains personnages (ou plutôt en déplacer un pour que la réalisation du meurtre soit crédible, sinon on se demanderait comment ça a pu arriver avec autant de gens autour). Bref. J'ai pas tout. J'ai pas tout et ça sent le roussi parce que la victime s'apprête à entrer dans la ville où elle va se faire tuer, pour discuter avec les gens qui vont la tuer au cours de cette entrevue. Sauf que bientôt, pour moi, ça sera la panne sèche. Ce serait quand même ballot si proche du but...

Ces derniers jours, je me suis forcée à écrire au moins mille mots par jour. Même si j'ai sauté deux, trois jours. J'ai décidé d'écrire mille mots par jour après avoir calculé ma moyenne : un peu plus de six-cent soixante-dix mots par heure et un peu plus de huit cents par séance. Trop peu pour vraiment avancer donc je me suis botté le derrière. Le risque c'est bien sûr que je me sois retrouvée à écrire des choses inutiles, juste histoire d'écrire, et que tout ça ne serve à rien. Mais pour le moment ça a l'air d'aller. J'ai tourné autour de mille trois-cents mots par jour et je me suis plus ou moins tenue à ma règle. Plus ou moins parce que j'ai ressenti le besoin de sauter quelques jours.

Un jour pour réfléchir, un autre pour ne pas me laisser ensuquer par le roman que j'ai dévoré en trois jours : l'intégral un peu remanié des Trois Lunes de Tanjor, d'Anne et Gérard Guéro sous le pseudonyme d'Ange, édité chez Bragelonne. C'est un livre que j'avais déjà lu quand j'avais douze ou quatorze ans et qui m'a beaucoup marquée. J'en ai toujours gardé des scènes et un souvenir général de l'ambiance en mémoire qui me revenaient dans la tête très régulièrement. Ces derniers temps c'était un peu plus souvent. Et puis, je ne sais pas ce qui m'a pris : tout à coup j'ai ressenti un besoin irrépressible de le relire, moi qui n'ai jamais lu deux fois un livre de ma vie. Je l'ai dévoré. J'y ai passé mes journées. Une claque.

En fait je m'étais dit que, pour qu'il m'ait marquée à ce point, il devait s'y trouver quelque chose de plus que les souvenirs que j'en avais gardés, qu'il devait raisonner quelque part en moi, s'engouffrer dans des brèches. Ça n'a pas raté. Je me suis identifiée au personnage d'Arekh comme jamais je ne me suis identifiée à un personnage. Expérience assez troublante pour une fille comme moi qui est plutôt du genre à étouffer ses émotions et à ne pas les laisser parler. Comme lui, d'ailleurs. Bref. Une claque. Je ne sais pas si j'ai trouvé les réponses que je cherchais, mais dans tous les cas je pense que ça va me travailler un petit moment. Tragédie hyper bien menée, que les éditeurs annoncent traiter du fanatisme religieux et du racisme mais, en réalité, tout cela n'est que le prétexte à une grande interrogation sur le destin. D'ailleurs j'étais étonnée de ne pas lire un commentaire sur Babelio qui mentionnait ce thème diffus mais central. Tragédie hyper frustrante qui aurait pu tellement mieux tourner si Monsieur hurlait son amour à Madame au lieu d'exploser de colère. Tragédie dont la fin est quasiment la seule possible, où chaque détail est distillé. Les auteurs se laissent même aller, dans le début, à deux ou trois répliques prophétiques.

Vous devez vous demander pourquoi je m'éternise sur la lecture d'un roman qui m'a servi d'excuse à ne pas écrire. C'est que ce n'est pas une excuse. J'étais tellement prise dans l'histoire, dans le style, que je sentais que si je prenais la plume pour écrire mon propre récit je serais emportée par ce que j'avais lu. J'ai besoin de distance. Un peu. Ce qui est assez bizarre, d'ailleurs, parce qu'avec le temps, quand on écrit depuis longtemps, le style des autres ne tache plus le nôtre, ne l'imbibe plus : on a un style propre que les lectures n'ébranlent pas. Mais pas là. C'est le point "négatif" de mes jours de lecture effrénée. 

Le point positif – qui justifie aussi que j'en parle dans un journal d'écriture – c'est que tout est tellement bien articulé que ça me donne envie de faire pareil, que ça m'a un peu rappelée ce que je recherchais quand j'ai commencé à écrire mon roman ; je comprends que mon premier jet est une architecture, un dégrossissement, qu'il me manque des choses, des détails, la dentelle. Je comprends aussi que j'ai été trop manichéenne, caricaturale, sur certains plans, ou pas assez fine dans mes explications des enjeux. Pas assez équilibrée dans le "show, don't tell" (un peu la règle de base), je pense, mais je confirmerais à la relecture. Mais je n'irai pas non plus à l'extrême inverse d'Ange. J'aime bien quand même les paragraphes interminables avec des explications. Il faut juste mieux doser.

Ça m'a donné des pistes de choses à préciser. Ça m'a aussi aidée à mieux cerner la manière dont je vais organiser mes corrections. Donc même si mon cœur a complètement chavirée et que je suis toute retournée – d'ailleurs, je me souvenais de la dernière scène, de la fin du livre, et une fois que vous savez où ça va, chaque détail vous frappe et c'est encore pire que tout –, je suis quand même satisfaite d'avoir écouté mon instinct et d'avoir relu ce livre.

Ce qui ne règle pas mon problème de personnage qui doit mourir. Sortez-moi de là. Plus j'avance plus je panique et plus je panique plus j'avance en reculant, m'étendant sur des détails sans savoir si c'est justifié ou si ça rempli mon nombre de mots en retardant la fatidique échéance, ce terrible moment où je risque de me retrouver bloquée, entre deux scènes, parce qu'il me manquera une toute petite pièce, un tout petit bidule pour passer de l'une à l'autre, un rien du tout indispensable et porté disparu.

Ce qui ne règle pas non plus le problème de "l'effet éponge". J'ai vraiment peur que ma manière d'écrire soit affectée au moins pour quelques jours, sans que je puisse déterminer si c'est pour le mieux (tirer les leçons de ce que j'ai lu, placer des détails hyper importants là où ils doivent être mis, me préoccuper de choses que je n'avais pas remarquées avant, etc.) ou pour le pire (singer un style qui n'est pas le mien, qui détonnera du reste, et qui sera hyper compliqué à rattraper en corrections.

En relisant cet intégral je pensais trouver des réponses, je les ai eues, mais dans d'autres aspects j'ai de nouvelles questions.

Panique à bord.

2 commentaires:

  1. C'est toujours tellement mystérieux de lire ce que tu écris sur ton roman, sans savoir vraiment quelle en est l'histoire... ça me rend vraiment curieuse, ça me donne envie de le lire !

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    1. En fait, je n'aime pas trop parler des histoires pendant que je les écris, je suis un peu superstitieuse... x) Mais je peux dire que c'est de la fantasy où y a pas vraiment de magie et que le but des personnages principaux c'est d'éviter de se faire réduire en bouillie par les armées de leur propre roi. Dit comme ça on dirait une grande épopée avec plein de machinations politiques mais en fait pas du tout, c'est très pépère et pas du tout au niveau du pitch que je viens de faire x) (ou comment descendre son propre travail, tout va bien).

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