jeudi 7 mars 2019

Discours intérieur

Source – Jean-Pierre Dalbéra
Hier l'amie de qui je suis l'une des cobayes pour sa reconversion en sophrologie a annulé notre rendez-vous d'aujourd'hui. C'est pas de chance, parce que je voulais lui parler d'un truc... En fait, à notre première séance, elle m'a un peu expliqué comment ça allait se passer, et elle m'a dit qu'elle allait parler à la première personne du singulier, comme si elle était la petite voix dans ma tête. Sauf que la petite voix dans ma tête, elle ne dit pas "je". Et je me suis rendue compte, que, en fait, entendre "je" d'une manière positive durant les séances était très reposant.

Ça fait plusieurs années que je me suis rendue compte que je ne me parlais pas souvent à "je" dans ma tête, et souvent pas pour des choses positives. Mais, peut-être par un effet diffus de la sophrologie, ça ne fait que quelques jours que j'ai pris conscience du point jusqu'où ça pouvait aller.

Par exemple, certaines des pensées que je m'adresse à moi-même, ne contiennent pas du tout "je". L'autre jour, je me suis dit : "on va se mettre un petit peu d'ASMR, ça va te faire du bien". Et quand il y a "je" c'est soit de manière négative qui infantilise en quelque sorte ("qu'est-ce que je vais bien pouvoir te faire à manger" me demandai-je devant le frigo ouvert), soit un "je" négatif qui critique ; par exemple : "je suis trop nulle" ou "les filles comme moi méritent pas tel ou tel truc". Dans ma tête, il y a le "je" qui commande ; le "tu" qui agit, tout ce qui a trait au corps et aux besoins naturels (manger, faire des courses, faire ses devoirs : "demain, tu feras ça, tu commenceras par ça" etc.) ; et le "on" qui est une espèce de mélange des deux mais qui donne les ordres comme le "je". Et je trouve ça un petit peu... inquiétant, quelque part. Je pense que c'est une forme de marque du contrôle que je voudrais avoir sur moi.

Le "je" qui dit "je suis nulle" et tout le reste, est aussi le "tu" des ordres donnés, le "tu" qui se laisse diriger. En gros, quand ça va pas, c'est la faute du "tu", du corps, de celui qui agit. Comme s'il y avait l'esprit qui tentait de manipuler un corps qui lui faisait résistance. Comme quand vous avez des gens dans la rue qui tirent bêtement sur la laisse de leur chien pour l'amener là où ils veulent, sans patience. C'est un peu comme si mes pensées traduisaient une séparation du corps et de l'esprit. Avec un esprit tout-puissant, agacé par un corps pataud (pour à peine caricaturer).

Comme je voulais en apprendre un peu là-dessus, j'ai essayé de chercher si la manière dont on s'adresse à nous-même n'avait pas un nom. Et bien sûr, comme à peu près tout en ce monde, ça en a un. C'est le discours intérieur. Qui se différencie du discours privé en ceci que le discours intérieur est dans la tête, alors que le discours privé est dit à voix haute.

J'ai trouvé un article de Charles Fernyhough sur Pourlascience, que je n'ai malheureusement pas pu lire en entier puisqu'il faut s'abonner et que le site ne propose pas de n'acheter que l'accès à cet article. Et malheureusement mes recherches sur Cairn ont été plutôt infructueuses. Cependant ça a permis de poser un peu les bases des bases du schmilblik.

A priori, les objectifs du discours intérieur sont entre autres de planifier et contrôler notre comportement, d'encourager la créativité, et de réguler nos émotions. Pour expliciter un petit peu ce dernier point, je vais aller puiser dans mes cours de psychologie du sport.

Notre professeur nous a parlé du modèle processuel de régulation des émotions de James Gross. Il existe cinq catégories de choses qui nous permettent de réguler nos émotions : sélectionner les situations auxquelles on se confronte pour ressentir ou éviter de ressentir certaines émotions ; modifier la situation ; se distraire de la situation (typiquement, les joueurs de foot qui ont un casque sur les oreilles en entrant sur le terrain) ; procéder à un changement cognitif (j'y viens), et la modulation de la réponse émotionnelle (par exemple lever le poing quand on est content pour renforcer notre contentement).

Je pense que le discours intérieur intervient sur le changement cognitif. En fait, nous appréhendons les situations auxquelles nous sommes confrontés avec notre cerveau. Je vais essayer d'expliquer ça aussi bien que notre prof l'a fait avec nous. On évalue une situation selon : son importance, si elle va ou non dans le sens de notre estime de nous, et ou non dans le sens de nos buts. On évalue aussi une situation en fonction de notre sentiment de responsabilité, et de notre sentiment de capacité à faire face à la situation. Par exemple un examen : c'est important parce qu'on peut rater notre année, ce qui n'irait ni dans le sens de nos buts, ni dans le sens de notre estime. Et on peut ne pas se sentir capable de réussir. Ce qui provoque du stress.

Du coup, je pense que c'est là que le discours intérieur intervient. En mettant en place des pensées comme "tu vas y arriver, t'as révisé toute l'année, t'as réussi tous les autres examens, y a aucune raison de pas réussir ceux-là", etc. pour renforcer le sentiment de capacité et réduire peut-être un petit peu l'importance (si c'est pas clair, faut me faire signe !).

Sauf que moi, mon discours intérieur, il a plutôt tendance à me tirer vers le fond plutôt qu'à m'aider. Sauf poussée d'orgueil (type : "t'as jamais redoublé, tu vas pas commencer maintenant"), je suis plutôt souvent en train de me punir et de me flageller. Le "je" qui jette tout sur la faute du "tu" essayes en plus de le contrôler à coups de "je t'interdis de faire ça" ou "il faut que". En gros, j'ai un problème de fusion cognitive : mes pensées remplissent fonction d'ordres. Ce qui fait mon discours intérieur ne m'aide sans doute pas comme il faudrait qu'il m'aide.

Surtout quand on sait que, pour le cerveau, le discours intérieur fonctionne comme une conversation. Charles Fernyhough, dans son article, rappelle que ça a la même qualité qu'une conversation à voix haute, à savoir un dialogue entre différents points de vue. Il dit aussi que le discours intérieur peut certes être bénéfique à la personne qui pense, mais aussi lui nuire.

Alors du coup, maintenant, j'essaye de me corriger. Quand une pensée mal construite passe, je la corrige, je la reformule pour la passer à la première personne. Ce n'est pas aussi reposant qu'une séance de sophrologie, et j'ai un peu peur que me forcer ne fasse que cacher le symptôme d'un dérèglement dans mon esprit, mais je me dis qu'il est un peu temps que je prenne le problème en mains..

10 commentaires:

  1. Je crois que tu fais le bon choix !

    Au début, c'est dur et on a l'impression de se duper, de cacher le problème, comme tu le dis. Mais non ! Enfin, ce n'est pas aussi simple et la méthode est efficace. Elle porte ses fruits après plusieurs semaines. Parfois, une phrase où on se gratifie suffit et sert de déclencheur.

    Dis donc, la sophrologie est vraiment parfaite pour toi. C'est une sacrée prise de conscience, je trouve. Je ne me suis jamais posé la question de comment je me parle ... A creuser !

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    1. Oui, "se duper" c'est exactement le bon mot !
      J'ai du mal avec les gratifications, parce que j'ai souvent l'impression que c'est faux. Mais les cours de psychologie du sport m'aident beaucoup sur certains trucs, à mieux comprendre comme je fonctionne. D'ailleurs, c'était le but avoué du prof ! Il nous l'a dit au début et à la fin des six heures que l'on a eu avec lui.

      Oui, la sophrologie, c'est super ! Déjà, j'ai tilté quand elle m'a dit "c'est pour aider à prendre conscience de son corps", ça a fait un gros bip-bip-bip dans ma tête x)
      Je pense que ça peut être intéressant de remarquer quand on se dit "tu", quand on se dit "je" et si c'est positif ou pas !

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  2. Ouah ton article est vraiment intéressant ! Et sache que tu es très claire ! J'ai eu le même petit soucis que toi pendant de très longues années, et c'était accentué par mon entourage toxique. Maintenant je parle beaucoup plus en "je", et encore plus depuis que je tire les cartes. Et souvent c'est beaucoup plus relaxant, en toute logique. Il faut APPRENDRE à être bienveillant envers soi. Ce n'est pas quelque chose qu'on nous apprendra à l'école... Après tout notre esprit, notre corps, et notre soi travaillent en un même lieu, autant coopérer pour que cela se passe au mieux, n'est-ce pas ? De toute façon, on a pas beaucoup le choix.

    J'ai beaucoup eu fait de la dissociation, et j'en fait encore un peu ( je te conseil d'aller lire un peu sur google pour comprendre, mais ça ressemble un peu à ce que tu écris ), mais c'est en apprivoisant, en comprenant, et en communiquant avec son corps et soi-même que cela s'arrange. Des fois on peut avoir des moments de "recule" où on ne veut pas que ça change, mais ce n'est pas grave, ça vient petit à petit avec du travail.

    Par contre attention à ne pas aller dans un autre extrême. Des fois il faut aussi accepter nos mauvaises réactions, ce n'est pas grave.

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    1. C'est gentil ! J'ai voulu introduire des concepts de psycho pour que ça soit un peu moins "me, myself and I" xD
      On nous l'apprendra d'autant moins à l'école que le sujet du discours intérieur n'est pas un sujet que l'on aborde, ni à l'école ni même entre amis (en tout cas on n'a jamais parlé de trucs comme ça de mon côté).

      Dissociation, tu parles corps-esprit ou conscient-inconscient ?
      En ce moment je suis dans un moment de recul mais pour une toute autre chose donc je vois ce que tu veux dire !

      Je suis tout à fait d'accord ! C'est comme la colère, ça sert à rien de chercher à ne jamais se mettre en colère... un chien mord et... c'est normal !

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    2. Dissociation, c'est-à-dire entre réel et irréel. Donc plus ou moins l'esprit sort du corps oui.

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    3. Ah d'accord ! Je regarderai, du coup !

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  3. Tes réflexions sont passionnantes et nous poussent à nous questionner sur ces sujets auxquels on ne réfléchit pas forcément naturellement. L'autre jour, j'ai même parlé avec mon amoureux de ces petites phrases que je me disais régulièrement dans ma tête. Et j'ai été surprise de constater qu'il lui arrivait très rarement de construire de vraies phrases dans ses pensées... Il ne se parle pas. Pour moi, c'était logique, tout le monde pensait de cette manière, et apparemment non... Mais je m'égare peut-être un peu. Je vais faire attention à l'avenir à la personne que j'utilise pour différentes réflexions, c'est vrai que c'est très important. Merci pour ce beau partage :)

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    1. Passionnantes ? à ce point-là ? :P Ben merci ! :)
      Il me semble que dans l'un des articles que j'ai lu ils disaient justement que ce n'étaient pas forcément des phrases complètes ! D'ailleurs, des phrases complètes, ça sert à rien dans le sens où on s'adresse à nous-mêmes donc on n'a besoin que du minimum puisque l'on ressent les émotions qui vont avec. On parle avec des phrases complètes aux autres parce qu'il y a besoin de rajouter des mots pour faire passer ou sous-entendre une émotion ou une intention, mais nous on les ressent, donc pas besoin. Enfin, en tout cas c'est comme ça que je l'expliquerais instinctivement.

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  4. Très bon article, qui pousse à réfléchir. Merci !

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    1. C'est gentil ! Merci à toi ! :) Ravie qu'il t'ait plu ! (J'espère que les autres te plairont autant ;P)

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