vendredi 19 juin 2020

Imposture et compétence

Source – Barn images
Je ne sais pas trop où va partir mon article. Je voudrais parler à la fois du sentiment d'imposture, de l'incompétence et de la comparaison aux autres, parce qu'il y a un lien que je ne suis pas sûre de pouvoir exprimer correctement et que je ne sais pas trop par où commencer ; d'ailleurs je me jette dans la rédaction de cet article sans en avoir déterminé le titre, ce qui est très inhabituel pour moi. Bref.

Je suis membre d'un forum d'écriture. De temps en temps, je vais jeter un œil à la partie où les membres postent leurs textes et je lis un peu en diagonale, par curiosité, sans jamais commenter, et je me dis que c'est vraiment super et que je n'ai rien à redire, aucune critique négative à formuler, et que je suis très loin d'écrire aussi bien et que jamais je n'arriverai à atteindre le niveau qu'ils ont et celui pour être éditée par une maison. Je ne pousse pas le bouchon à vouloir arrêter l'écriture, mais ce cheminement, pour moi qui suis une grande ambitieuse, est déjà assez douloureux pour ne pas en rajouter – c'est surtout aussi que j'aime trop écrire pour ne serait-ce que penser à arrêter.

J'ai lu un article de Héloïse de Visscher sur le sentiment d'incompétence. Elle y explique que ce sentiment peut naître de la différence entre les résultats que l'on obtient, et ceux que nous pensons être capable d'obtenir. Je pense pouvoir être publiée, je découvre que j'en suis loin : ça implique ce fracas silencieux dans lequel je me dis que je n'y arriverais jamais. En ça, les articles de blog que j'ai vu passer sur le fait d'arrêter de se comparer aux autres sont assez justes. Se comparer aux autres, ça fait du mal et ça ne sert à rien. Mais il y aurait quand même à nuancer.

Comme je suis actuellement en stage, je gagne un peu de sous, et j'ai recommencé à acheter des mangas. J'ai donc pu reprendre où je l'avais laissée ma lecture de Sousei no onmyôji de Yoshiaki Sukeno. Pour vous mettre en contexte rapidement : Rokuro, adolescent, est un onmyôji qui conjure les vilains monstres venus d'un monde parallèle. Il veut devenir le plus puissant de sa corporation mais il lui reste un immense chemin à parcourir. Dans le tome onze, il demande à un plus puissant que lui, qui fait partie de l'assemblée des Douze Généraux Célestes (les plus forts parmi les plus forts) de lui expliquer ce qui les sépare. Et donc le type y va, et lui raconte à quel point il n'est pas au niveau, qu'il est un candidat potentiel pour devenir Général Céleste mais que bon, "un candidat reste un candidat". Mais Rokuro, au lieu d'abandonner tous ses rêves, est encore plus résolu que jamais à s'améliorer et souhaite utiliser le tournoi à venir comme moyen d'évaluer ses progrès. Vous pourriez me répondre que ben oui mais bon, Eni, t'es gentille ; s'il abandonne, y a plus d'histoire !

À l'origine, je voulais vous faire un grand article sur le fait de se comparer aux autres, le sentiment d'incompétence, etc., comme je fais de temps en temps. Donc j'ai fait des petites recherches. Et puis finalement je n'ai pas trouvé suffisamment de choses qui me plaisaient bien, donc je fais plus modeste. Mais dans mes recherches j'ai trouvé un article de Lise Friedman qui explique qu'il existe trois type de comparaison sociale. La comparaison latérale : quand on se compare avec des personnes que l'on juge proches de nous ou identiques à nous dans le domaine que l'on vise (typiquement, mes petits camarades du forum d'écriture). La comparaison descendante : quand on se compare à des gens que l'on considère comme plus "faible" que soi. Elle sert à se remonter le moral. Et la comparaison ascendante : quand on se compare à des gens que l'on considère supérieurs à soi. Cette comparaison-là produit l'envie de s'améliorer, parce que l'on pense avoir le potentiel suffisant pour atteindre et dépasser le niveau des personnes à qui l'on se compare. Rokuro n'est donc pas juste motivé pour qu'il y ait une histoire à raconter !

Le truc c'est que ma comparaison avec les autres membres du forum ne me donne pas vraiment envie de m'améliorer. Elle me fout le bourdon. C'est aussi que le sentiment de compétence fait partie des thématiques qui sous-tendent l'estime de soi.

Bon, d'abord, les scientifiques ne sont pas tous d'accord sur la définition du concept d'estime de soi, donc je ne vais pas me lancer là-dedans, on voit tous à peu près, je pense, ce que ça donne. Dans ce grand concept, Christina Doré rappelle que l'on trouve : la valeur accordée à soi-même (jugement favorable ou défavorable), l'acceptation de soi (amour-propre et authenticité envers soi), l'attitude envers soi-même (bienveillance, ou pas), le respect de soi (considération que l'on se porte), et sentiment de compétence, donc. En gros, la confiance en soi n'est qu'une petite partie de l'estime de soi. Et toutes ces parties sont liées entre elles. Et si je devais me lancer dans un résumé du point ou j'en suis je dirais qu'aucune de ces catégories n'est remplie positivement chez moi. Donc, la comparaison blesse. Surtout quand le contexte n'est pas choisi. Comme ce sujet ouvert sur le forum à propos d'écriture inclusive où les grandes argumentations scientifiques des uns et des autres donnent juste envie de se faire tout petit.

Et par-dessus tout ça, l'imposture. Je n'ose pas me revendiquer du syndrome de l'imposteur parce que c'est un concept qui demande à ce que ce soit quand même quelque chose d'un peu constant et invariable, alors que chez moi l'imposture prend plus la forme de vagues.

C'est que, quand mon chef me dit que je fais un gros boulot et que je peux me reposer, je me demande si on parle bien de la même personne. Parce que, très sincèrement, même si je fais plutôt bien mon travail, je n'ai pas l'impression d'abattre un gros taf. D'ailleurs, je n'y passe pas beaucoup d'heures, et moins on m'en donne à faire, moins je veux en faire puisque j'ai pris un mauvais rythme. C'est assez compliqué pour moi à gérer, car j'aime travailler dans l'urgence, relever les challenges, avoir plein de trucs à gérer en même temps, et que je suis capable d'abattre beaucoup de travail dans un temps assez réduit. Là, j'ai plutôt l'impression de glander. Donc, quand mon chef me fait ce compliment à l'écrit, j'ai, l'espace d'une fraction de seconde, cette pensée que peut-être il me dit ça pour me culpabiliser – c'est d'ailleurs là que je vois comme j'ai progressé dans mon rapport à moi-même : avant, cette petite pensée aurait pris toute la place, aujourd'hui j'arrive à la foutre tout derrière la pile des pensées. Et quand il me fait le compliment à l'oral, et que je ne détecte dans le ton aucune hypocrisie, je me dis que c'est du gros n'importe quoi, parce que les autres bossent pendant que je me matte un film sur Netflix. Ce n'est pas que je ne veux pas bosser, c'est que je n'ai pas tant de choses que ça à faire. Mais, je n'ose pas trop le dire.

L'imposture, je ne l'avais jamais vraiment ressentie. C'est assez compliqué à gérer. Je culpabilise à la fois de ne pas bosser, et à la fois de ne pas être capable de faire part de mon problème à mon chef. J'ai l'impression d'usurper des compliments que je ne mérite pas. J'ai déjà du mal avec les compliments quand j'y ai droit, alors quand ce n'est pas le cas... Ça ne m'aide pas non plus à avoir davantage confiance en moi, bien au contraire... niveau estime de moi, tous les curseurs descendent en flèche. Mes recherches m'ont au moins permis de mieux comprendre comment tout ça fonctionne, et de pouvoir déployer des "pensées-médicaments" pour essayer de tout redresser. Ce que j'avais essayé pour me motiver à passer le permis de conduire en trouvant des raisons intrinsèques, et qui avait plutôt fonctionné. C'est à ne pas comprendre pourquoi ils n'ont pas voulu de moi en psychologie du sport ! ;)

L'imposture jaillit aussi, dans une intensité moindre, quand on me dit que je suis intellectuelle, ou que je sais beaucoup de choses, que j'ai toujours un truc à dire dans toutes les conversations, etc. Parce que moi je trouve que je manque beaucoup de vocabulaires et de connaissances. C'est une imposture. Je sais des trucs dans plein de domaines différents mais très peu de choses, juste suffisamment pour intervenir dans une conversation et paraître légitime, pas suffisamment pour la tenir sur le long-terme. Juste assez pour signifier à mon interlocuteur que je suis intéressée, et que s'il est plus expert que moi je boirai ses paroles.

Est-ce que ça vous arrive, parfois ?

6 commentaires:

  1. Un article personnel très intéressant et qui fait effectivement écho au mien ! On est alignés !
    Les 3/4 des personnes qui viennent en consultation me disent "j'ai un problème de confiance en moi" et quand on creuse 30min, c'est plutôt un problème d'estime. L'estime est le socle, de la confiance, de l'affirmation. Heureusement, pour booster l'estime, pleins de petites choses sont possibles !

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    1. C'est la puissance des grands esprits qui se rencontrent, ça, Madame ;'P
      C'est rassurant de savoir que tout n'est pas perdu ! :D

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  2. Je me reconnais dans beaucoup des choses que tu racontes, moi aussi j'ai souvent ce sentiment d'imposture, que je ne mérite pas les compliments que je reçois...

    Et de la même manière, j'ai de la peine à me rendre compte que les choses que j'ai accomplies dans ma vie sont des choses positives, que j'aurais le droit de m'en vanter lors d'un entretien d'embauche, par exemple. J'ai plutôt toujours l'impression d'avoir navigué en slalom, en me laissant plus ou moins porter par le courant sans vraiment avoir pagayé comme il faut...

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    1. Je pense que naviguer en slalom et se laisser porter par le courant sont des choses que l'on peut valoriser. Ce n'est pas parce qu'on a lutté contre le courant et qu'on a remonté en pirogue les chutes du Niagara que notre parcours a plus de valeur, et ce n'est pas parce qu'on a glissé sans trop pagayer que notre parcours en a moins !

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  3. Coucou ! Je crois bien que ça s'appelle le syndrome de l'imposteur... je le vis et ressens régulièrement depuis que j'ai lancé ma box, figures toi ! Mais quand on arrive à mettre un mot dessus et comprendre pourquoi on agit comme ça et savoir quoi faire pour pas y penser, ça aide :) En tous cas pour moi c'est ça et ton article m'a fait penser à ça :) regarde sur wikipedia ou google pour plus de détails ;)

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    1. Comme je disais, je ne suis pas sûre de pouvoir me revendiquer du syndrome de l'imposteur parce que quand les autres en parlent ça me donne toujours l'impression d'un truc un peu constant en arrière-fond alors que chez moi ce sont vraiment des vagues dépendantes de ce qu'on me dit, etc.
      Du coup, que fais-tu pour ne pas y penser ?

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