dimanche 23 juin 2019

Mener sa barque

Source – Daniel Metz

Il y a quelques jours j'ai passé ma soutenance de stage et j'ai été très marquée par les remarques de mes deux jurés que, à certains égards, je trouve inadaptées. Tout se passe très bien pendant mon stage, cependant voilà : il n'est pas exactement dans le domaine de mes études ou plutôt il est dans le domaine de mes études générales mais pas dans celui de l'option que j'ai choisie. Les deux options de mon master se retrouvent dans les deux master 2 entre lesquels je devrais choisir l'année prochaine, et entre lesquels, surtout, j'ai déjà choisi.

Je me retrouve donc devant des professeurs qui ne comprennent pas que j'aie choisi le stage que je fais actuellement et que je veuille aller dans le master 2 que j'ai choisi puisque ça ne correspond pas, et d'ailleurs, le stage que j'ai choisi ne correspond pas non plus au domaine du Service Civique que j'ai fait l'année dernière (qui lui, pour le coup, correspond au master 2) (j'espère que je ne vous ai pas perdu en route). De cette incohérence minime dans mon parcours, est née une remarque des professeurs : "réfléchissez à ce que vous voulez faire, ce n'est pas sûr que ce master 2 soit fait pour vous et en tout cas c'est une discussion que nous aurons, entre nous". Un camarade, qui a fait son stage dans le même domaine que moi alors qu'il suit la même option a aussi eu droit à des critiques négatives sur son projet professionnel.

Dans le fond, je m'en fiche de ces remarques, je veux dire, je ne les prends pas personnellement dans le sens où je sais ce que je veux faire, je sais où je vais, je sais que je veux travailler au sein de structures sportives et une opportunité de stage pour l'année prochaine me conduit là-bas (alors que mon stage de cette année n'est pas du tout dans le sport, aucune cohérence on vous dit !). Je sais aussi que je ne veux pas travailler dans le domaine du master que je fais actuellement, et que je veux tenter d'enchaîner sur un master de psychologie du sport. Donc les remarques des uns et des autres sur mon parcours, je m'en passe. Mais je pense à ces autres étudiants qui veulent vraiment travailler là-dedans et à qui on dirait "je ne vous vois pas faire ça"... j'ai envie de répondre : "de quel droit ?". Est-ce qu'on ne peut pas simplement mener sa barque comme on l'entend ?

J'ai fait la Licence que j'ai faite, et qui n'avait rien à voir avec le schmilblik, parce que j'en avais envie. Et ensuite j'ai candidaté là où j'avais envie d'aller. Et je ne le regrette pas du tout. Oui, peut-être qu'à la fin, quand je serai insérée dans le milieu professionnel, j'aurais mis plus de temps que les autres, j'aurais mon premier emploi plus tard que les autres, et qu'on va souvent me demander ce que j'ai foutu pour en être à ce point. Mais j'aurais suivi le chemin dont j'avais envie. Et qui n'est pas l'autoroute.

C'est très bien, quand on sait ce que l'on veut faire, de suivre l'autoroute ; de suivre les flèches sans se poser de questions. Mais à quoi bon suivre l'autoroute quand on ne sait même pas où on va ? On va vite, oui, mais peut-être dans un mur, où ensuite changer d'embranchement sera difficile. Je préfère de loin la route de campagne, où je fais demi-tour presque quand je veux, et où je peux m'arrêter visiter le village d'à côté quand je le désire. J'aime aussi la métaphore du fleuve. Le fleuve ne file pas tout droit, il ne s'écoule pas toujours au même débit, et, parfois, il a des méandres si sinueux qu'on dirait qu'il veut faire demi-tour; et pourtant il arrive toujours à la mer.

Ce que je n'ai pas aimé, dans le comportement de mes profs, c'est aussi la manière un rien sournoise de me reprocher mon parcours. Ils avaient sans doute mon dossier sous les yeux (en tout cas, les jurés d'une amie avaient le sien sur leur table et l'ont consulté) et ils m'ont quand même demandé : "quel stage avez-vous fait en Licence ?", en sachant pertinemment que je n'avais pas fait de Licence chez eux et encore moins dans ce domaine. Pourquoi ne pas en venir directement au fait ? Pourquoi ne pas me demander quel Service Civique j'avais fait ou – encore mieux ! – m'en faire la remarque : "vous avez fait tel Service Civique, mais votre stage est dans tel domaine, expliquez-nous ce choix" ? Rebelote à la fin de la séance : "d'habitude, on profite de la Licence, du Master, et des stages pour [aller dans la même direction]". Et bim, dans tes dents ma cocotte ! Je ne comprends pas ça.

Je le comprends chez les recruteurs, que les recruteurs préfèrent faire confiance à des étudiants qui ont suivis toutes leurs études supérieures dans le domaine où ils demandent un stage, mais je ne le comprends pas des professeurs. Surtout que ce n'est pas pour aider à choisir les élèves qu'ils acceptent, puisqu'ils ont déjà du mal à remplir leur master 1...

J'ai dit à mon camarade qui a aussi essuyé des remarques qu'ils faisaient chier et que l'on menait notre barque comme on voulait. Il m'a dit que c'est aussi ce qu'il avait pensé.

Cette année, j'étais en colocation avec un Franco-allemand qui m'expliquait qu'en Allemagne, on pouvait faire deux années de Licence, s'arrêter pour travailler, reprendre cette Licence ou en faire une autre, etc. jusqu'à presque l'infini, et que ça ne choquait ni ne dérangeait personne. Je pense que l'on gagnerait à se rapprocher de ça. Bien sûr, il y a toutes les questions d'entrée sur le marché de l'emploi mais, de toute façon on y entre de plus en plus tard et j'ai des amis et des membres de ma famille plus âgés que moi qui galèrent à trouver du boulot alors qu'ils viennent d'obtenir leur diplôme parfois dans une grande école. Alors dire que l'on doit finir le plus tôt possible pour entrer sur le marché du travail, ça tape un peu à côté...

J'ai le parcours que j'ai, je ne le regrette pas, j'ai vu plusieurs choses différentes, j'ai été dans plusieurs villes, j'ai appris humainement et j'ai rencontré beaucoup de personnes très intéressantes. J'ai su m'adapter à mon milieu et je suis en train, je pense, de réussir mon stage, n'en déplaise à mes professeurs. J'ai le parcours que j'ai, et je n'ai pas l'intention de le changer, d'arrêter de faire ce que j'ai envie de faire. Plein de jeunes ne savent pas quoi faire de leur vie, tâtonnent, hésitent, ont, du coup, un CV sans queue ni tête, des Licences arrêtées, un Service Civique, une tentative dans autre chose et puis finalement le déclic, ou pas... j'ai du mal à saisir en quoi c'est critiquable, de chercher sa voie, d'avoir plusieurs centres d'intérêts, de pouvoir évoluer à la fois dans la culture, le sport ou la santé, la sécurité ou l'éducation. Au contraire je trouve que c'est une grande richesse.

9 commentaires:

  1. Je suis tellement d'accord avec toi. Je crois que c'est très français comme point de vue et je trouve qu'à bien des égards on nous enferme dans un cadre précis dont il ne faudrait pas s'échapper si possible. C'est vraiment affreux car, la plupart du temps, on doit faire ce choix dès la fin du collège et ce n'est pas donné à tout le monde de savoir aussi tôt ce qu'il veut faire. Ce n'est pas donné à tout le monde de se plaire ad vitam dans un domaine professionnel précis.
    Et puis comme tu l'as dis, c'est une vraie richesse. Certains recruteurs commencent d'ailleurs à favoriser les soft skills, les à côté, les parcours qui ont dévié. Parmi des candidats qui ont les mêmes compétences, les mêmes diplômes et expériences, c'est les petits trucs en plus qui vont les démarquer, les rendre unique.
    Bon courage et bonne continuation ! :)

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    1. Oui, un cadre précis, comme tu dis, qu'on nous demande d'intégrer à la fin du collège... mais moi au collège je voulais être gardien forestier, puis après un truc, e sais plus quoi, en rapport avec les animaux et qui m'obligeait à aller en bac S (d'ailleurs j'ai finalement fait un bac L).

      C'est gentil ! :)

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  2. Je te retrouve bien là dans cet article, ton raisonnement sonne complètement juste !

    Bien sûr que tu as le droit d'aller où tu veux, de passer par les chemins qui te chantent et tu as tellement raison de le faire. Tout comme toi, je ne comprends pas ces personnes qui critiquent sans savoir et appuient aussi parfois sur des zones qui te piquent un peu plus que tu ne le voudrais car c'est forcément un sujet sensible. Un sujet qui t'importe et pour lequel les gens se montrent très curieux et critique. Ils s'octroient des droits qu'ils n'ont pas.

    Plus j'avance dans la vie et plus je parviens à mener ma barque comme tu le soulignes si bien, sans me soucier des "tu devrais" ou des "tu te fermes des portes en prenant ce chemin là". Ces commentaires sont bien souvent bordés d'un sentiment bienveillant ou réprobateur selon leurs auteurs. Mais une chose est certaine, j'accorderai peu d'importance à ce qu'un jury qui ne te connait même pas se permet de te dire.

    Vouloir troubler ta confiance en toi, remettre en question tes choix et ne pas se dire que tu n'as peut-être pas trouvé ce que tu voulais faire tout de suite. Ne pas comprendre que tu ais besoin de temps, d'expérimentation, d'un parcours riche et multiple car tu aimes pleins de choses différentes. Rien de plus normal non ? Peu de gens ont le courage de braver autant les éléments pour tenter de s'épanouir plus tard dans leur métier comme toi tu le fais.

    Je me suis retrouvée embarquée pour 4 ans de bachelor en commerce international tout ça parce que j'ai trop voulu écouter mon entourage qui me disait de ne pas me spécialiser tout de suite tant que je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard. Entre nous, même si j'avais su, ils m'auraient poussé vers la formation la plus générale possible et je pensais aussi que c'était le mieux pour moi car j'étais trop socialement conditionnée. Et puis avec les notes que j'avais les gens autour de moi me demandaient déjà pourquoi je ne visais pas plus haut... toute cette pression sociale à contribué à orienter mon choix. Aujourd'hui je me spécialise en master et je n'écoute que moi. Je me sens enfin en paix et n'ai pas honte de dire que je n'irai pas à la Sorbonne mais dans une école inconnue au bataillon et qu'en prime j'ai hâte de commencer à étudier là-bas. Sentiment que je n'avais pas ressenti depuis loooongtemps pour des études. Ou peut-être même jamais ? Je n'ai jamais trouvé ni le format, ni la structure de l'école passionnante. Trop castratrice et théorique.

    Tu as raison de ne rien regretter et de ne pas t'excuser de ton parcours qui fait toute la richesse de ton profil.

    Bonne journée à toi,

    Juliette

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    1. Bah surtout que là c'était une prof qui l'avait jamais vue, et un qui m'avait vue trois fois x)
      Aaaah lala ! Les "tu te fermes des portes"... j'ai même envie de répondre "bien sûr que non" mais en fait oui, un peu. Les choix sont un peu comme les branches d'un arbres. Tu commences par le tronc et de là tu as accès à tout le houppier mais, ensuite, tu suis une branche, puis une autre, et ça se referme, parce que choisir c'est renoncer, comme disait l'autre. Mais ça, c'est si on veut voir le verre à moitié vide (or, un verre, c'est toujours entièrement plein : moitié eau, moitié air !). Si on ferme des portes, on en ouvre d'autres, d'une part. D'autre part, c'est faux de dire que l'on ferme des portes ou plutôt le sous-entendu est complètement faux. Le sous-entendu c'est : tu fermes des portes que tu ne pourras plus jamais rouvrir. Alors d'une part peut-être que t'auras plus jamais envie de les rouvrir mais, surtout, toutes les portes peuvent toujours être ouvertes à condition de trouver la bonne clef. Les écureuils, qui ont suivi des branches pour arriver jusqu'en haut, ne restent pas bloqués tout en haut : ils courent sur les branches à une rapidité folle et passent d'arbre en arbre. Choisir, c'est renoncer, oui, mais pas pour toujours. Je m'explique : nous sommes à maximum 7 personnes de tous les individus sur cette Terre, via l'ensemble des personnes que nous avons rencontrées (même si c'était une seule fois et qu'on s'est échangé trois mots). Ainsi, par exemple moi, j'ai deux moyens de rencontrer Emmanuel Macron. Un par mon boulot, et l'autre parce qu'une copine de Service Civique a fait un selfie avec François Hollande. Surtout, mon opportunité pour l'année prochaine fait le pont entre mon domaine actuel et le sport, ce qui me permettra ensuite d'espérer travailler à l'INSEP. Qui aurait cru que je pouvais entrer dans le sport en passant par un truc qui n'a rien à voir (je peux t'en dire plus par mail, si tu veux ;P) ? Une amie de promo a trouvé son alternance pour l'année prochaine dans un ministère, grâce à son travail dans un autre ministère. Nous sommes reliés à tout le monde et nous pouvons donc ouvrir n'importe quelle porte à peu près n'importe quand, en passant par les bonnes personnes au bon moment et en restant toutes antennes dehors aux opportunités (la structure dans laquelle j'espère aller l'année prochaine, c'est ma voisine de bureau qui m'en a parlé, je ne la connaissait même pas !). Nous devons être des écureuils ! Il est donc faux de dire que l'on se ferme des portes : CQFD.

      J'ai pas l'impression de braver les éléments, mais je pense que j'ai un esprit un peu retors x) si je peux pas passer par la cour d'honneur je passerais par la chatière x)

      Ne pas se spécialiser trop vite... là encore c'est un choix "raisonnable" mais en fait peut-être pas tellement... si tu fais une spécialisation, puis une autre, puis une autre tu en a plein... le beau-père d'un collègue de ma structure de Service Civique a fini ses études à 40 passés. Il a fait de l'architecture, de la sociologie, de l'Histoire, et aussi de l'Histoire de l'art, je croix. Alors bien sûr, il a galéré, étudiant avec une famille derrière... par contre, quand il en a eu terminé, qu'il s'était spécialisé en tout et nourri de connaissances, il est directement rentré à l'UNESCO comme directeur de la conservation, je crois, d'une région en France. Comme ça, direct. Parce qu'il s'était spécialisé, encore et encore.

      Bonne journée à toi aussi :)
      Soyons des écureuils !

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    2. Bordel, ce commentaire est bourré de fautes x)

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  3. Cette fâcheuse habitude de vouloir faire rentrer les gens dans des cases... Ce n'est pas du tout constructif, et je suis d'accord avec toi, inadapté. Je trouve qu'il n'y a rien de plus épanouissant que de s'intéresser à plusieurs choses. Certaines personnes ont une vocation, et c'est très bien mais beaucoup de personnes cherchent leur voie plus longtemps ou ont envie de faire des choses différentes. A chacun son profil.
    Je t'invite à découvrir cette conférence Ted très intéressante à ce sujet et qui, personnellement, m'a fait du bien : https://www.ted.com/talks/emilie_wapnick_why_some_of_us_don_t_have_one_true_calling?language=fr
    A bientôt !

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    1. C'est ça, tu as raison, c'est une histoire de cases !
      Je regarderai cette conférence, sans faute !

      A bientôt :)

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  4. Tout le système éducatif est à revoir en France, mais le problème c'est que dés que quelqu'un essaie d'y toucher c'est l'apocalypse ! On ne veut pas faire évoluer les choses, c'est un point intouchable on dirait ?
    Enfin bref. Quand on demande a des gosses de 14 ans, le brevet en poche, de déjà savoir ce qu'ils veulent faire de leur vie (plus ou moins) pour s'orienter après la case collège je trouve ça dingue ! Surtout qu'il y a aucun accompagnement dans ce processus (idem après lycée général), y'a rien de concret. On ne connaît pas forcément l’éventail des possibilités quand on est un ados, ni comment y accéder. Et on est souvent poussé dans une direction (considéré comme la "meilleure") par l'entourage ou le système éducatif. Ou au contraire, un peu comme toi, on s'entend dire "ça c'est pas fait pour toi" sans même laisser une chance à la personne de faire ses preuves. C'est franchement hallucinant comme tout est bancal. Comment veux tu trouver ta voix dans ce chaos ? (Et puis c'est pas une course, effectivement ==')

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    1. Je pense que c'est parce qu'on se vente d'avoir plus ou moins inventé l'école gratuite, d'avoir un système éducatif ancien, et du coup dès qu'on touche au bac ou à comment on intègre l'université, c'est levée de boucliers direct'... parce qu'on veut l'égalité, etc. C'est pareil quand on dit qu'on va faire payer les étudiants étrangers hors Europe le vrai prix d'études, pour les faire venir puisqu'ils pensent chez eux qu'un master à 300 balles c'est que c'est une mauvaise formation. Il y a aussi le côté financier qui entre en compte...

      Nan, effectivement, y a pas de vrai accompagnement, du coup devrait pas y avoir de problème à fermer les Centres d'Information et d'Orientation vu qu'ils servent à rien... Soit les étudiants en sont très satisfaits, soit ça leur a servi à rien du tout, alors que normalement les conseillers d'orientation devraient se trouver au milieu et pas polarisés, je veux dire... ils devraient aider un peu tout le monde et pas beaucoup certains et pas du tout d'autres, c'est que le dispositif n'est pas adapté... je sais pas si ce que je dis est clair... et du coup cette manière de voir les choses, de s'orienter tôt, ne correspond ni à notre société actuelle où on doit pouvoir bouger, ni à ce dont ont besoin les gens, et des gens qui se réorientent une fois adultes y en a pléthore !

      C'est ça ! On ne nous parle pas de toutes les possibilités qui s'offrent à nous (il y en a tellement, faut dire ! ) et on est entouré de profs et de gens de la famille qui nous poussent quelque part. Et c'est ainsi qu'une voisine ne voulait pas permettre à son gosse d'aller en pro parce que tu comprends il avait de tellement bonnes notes qu'il devait forcément aller en général ! Ahurissant !

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