jeudi 7 juillet 2022

Croire au divin

Source photo – Nikko Tan
Une amie m'a dit qu'elle était Témoin de Jéhovah. Elle m'avait déjà parlé de sa chrétienté, au détour de conversations, mais là cette partie de son identité prenait une importance plus prégnante. C'est très étrange car, d'habitude, la religion me met très mal à l'aise. Je ne rejette pas le droit de croire aux individus, d'avoir la foi, que ce soit en l'hindouisme, en le shintoïsme, en le christianisme, l'islam, une autre, une "à soi" que l'on ressent comme ça, peu importe, mais c'est vrai qu'entendre parler d'amour de Dieu, etc., pour moi, ça me renvoie très vite, même évoqué par des personnes tout à fait censées et modérées, à un côté illuminé, et j'ai cet instant, en moi, de méfiance, de recul. D'habitude, ça me fait ça. Avec cette amie, ça ne l'a pas fait.

Je pense parce qu'elle est mon amie et que l'amitié a pris le pas sur ma méfiance intrinsèque (ce qui est plutôt rassurant, je trouve). Du coup, j'ai profité de l'occasion pour évoquer les questions qui me taraudent (par exemple, un dieu, quel qu'il soit, qui dit : "si tu ne fais pas telle chose, je ne t'aime plus", je trouve que c'est un dieu avec un sacré melon, quand même ; ou bien le fait que l'on fait dire ce que l'on veut à Dieu, en fin de compte, et même les gens qui se disent proches de la Bible, comme les Protestants, je crois, qui ont été les premiers à dire : "on va revenir au Texte", se retrouvent à interpréter). Mon amie a été très pédagogue, m'a expliqué ses ressentis, m'a parlé des règles et du pourquoi, du Père qui guide et sanctionne ses Enfants pour les éduquer, comme des parents qui priveraient leur enfant de dessert après une bêtise et auxquels on n'aurait pas le droit de faire des reproches. Je crois que, à la fin, j'étais censée me dire : "aaaaah mais oui !" et avoir une grande révélation, sinon sur la religion, au moins sur la manière dont cela fonctionne. Ce n'est pas arrivé. Plus elle m'explique, plus je réfléchis, et plus je rejette les religions – et non la foi, je tiens à insister sur ce distinguo.

Le fait est que je ne viens pas d'une famille croyante, même si l'une de mes grands-mères l'était, que je ne suis pas allée au catéchisme, à la messe, etc., et que la religion est, d'une manière générale, à des années lumières de ma culture. J'aime beaucoup, paradoxalement peut-être, en apprendre plus sur les mythologies des diverses cultures – et j'aime particulièrement ce que je comprends de la mythologie égyptienne antique. Je suis aussi très méfiante des extrêmes, qu'ils soient politiques, sociaux ou religieux, et le fait est que certains versets, certaines tournures de phrases des croyants-pratiquants, sonnent pour moi très vite comme extrême, même quand ce sont des gens par ailleurs ouverts d'esprit. Du coup, les explications de mon amie ne m'ont pas donné de révélation sur comment fonctionne la religion. Je comprends encore moins.

Jusque-là, je ne m'étais jamais vraiment posé de questions. Pour moi les choses étaient assez simples : le divin, quelle que soit la forme qu'on lui donne, existe ou pas ; certains y croient, d'autres non ; ceux qui y croient suivent des règles parce que c'est comme ça, c'est tout. Maintenant, je me dis que c'est incroyable que des gens acceptent de Dieu des choses qu'ils n'accepteraient pas des autres humains. Un homme qui vous dit : "c'est le chien ou moi", il prend ses valises, ses clics, ses clacs, et il a intérêt de dévaler très vite les escaliers. Je garde le chien. Parce que le chien, lui, ne me posera jamais un ultimatum comme celui-là. Mon amie m'a expliqué que les restrictions (alimentaires, sexuelles, autres) ne sont pas vécues comme des restrictions mais plus comme des concessions, par amour pour Dieu qui nous aime. Mais, si je ne sais pas ce qu'est l'amour, je sais ce que ce n'est pas : ce n'est pas un type qui vous dit : "si tu es comme ça, ou que tu ne fais pas ça, je ne t'aime plus". Et ce n'est pas un gars qui vous encourage à ne pas rencontrer de gens différents pour éviter la tentation (bonjour la confiance ! s'il croit qu'un simple contact avec l'Autre, pécheur, peut venir à bout de la sincérité et de la profondeur de ta foi). Du coup, plus mon amie me parle, et plus j'ai l'impression que les Hommes ont fait de Dieu un pervers narcissique, qui conditionne son amour. L'amour n'est pas quelque chose que l'on conditionne.

J'ai dit tout cela à mon amie, et plus encore. J'attends sa réponse – c'est une discussion très intéressante, qui me pousse à réfléchir, sortir de ma zone de confort, jouer dans les frontières où je suis mal à l'aise. Ce n'est peut-être pas plus mal même si ce n'est pas très agréable.

En fait, je disais que je ne rejette pas la foi. Je pense que la foi, comme la non-foi, devrait être quelque chose de très intime, dont on peut parler aux autres, mais que l'on vit personnellement, intimement, pour se chercher soi-même, être bien dans son rapport à soi, au vivant, à l'Autre, sans personne pour édicter des règles. Mon amie me disait que les règles servaient à maintenir l'intégrité de la communauté : bien sûr ! les lois du Code Civil et du Code Pénal n'ont pas d'autres objectifs. Les règles et lois servent à réguler les communautés pour éviter que tout le monde se tape dessus. Mais voilà : ce sont des règles établies par des Hommes pour la bonne marche d'une communauté : ce n'est pas Dieu, ce n'est pas la foi : c'est la religion, construite par des gens qui voulaient établir un contrôle sur d'autres (pour leur bien, sans doute (ou pour l'argent et le pouvoir, si l'on veut être cynique)).

C'est très bizarre, et je sais que c'est une impression qui va me passer, mais depuis qu'elle m'a dit être Témoin de Jéhovah (je précise que je n'avais pas d'a priori sur eux, pour moi c'étaient juste les types avec des présentoirs avec des livrets dans la rue), je n'ai plus l'impression d'avoir mon amie. Ce qui est très con, parce qu'en fait j'ai toujours eu mon amie Témoins de Jéhovah, simplement, je ne le savais pas : elle n'a pas changé d'une seconde à l'autre, elle est toujours la même. Mais maintenant, je ne sais pas, j'ai l'impression de ne plus avoir une personne tout à fait libre, mais une personne bercée de dogmes en tout genre. Ce qui est complètement idiot, car elle reste un individu à part entière. En fait, ça a trait à mon rapport de méfiance à la religion, à ma préhension du monde, et pas du tout à elle. C'est pour ça que je dis que l'impression va passer, ou que je saurai faire avec. C'est comme quand, à la fac, une amie m'avait dit qu'elle avait fait le catéchisme quand elle était enfant. Juste ça, ça m'avait "choquée", électrisé le cerveau. Il m'en faut peu, ça dit assez mon rapport compliqué au religieux. Donc ça passera aussi ici, ça se résorbera quand j'aurais trouvé un nouvel équilibre entre le point d'avant et le point d'après les réflexions enflammées de mon esprit.

En fait, j'ai deux peurs : que mon amie ne me considère pas vraiment comme une amie vu que je ne suis pas Témoin et que les Témoins encouragent à ne fréquenter que des Témoins ; et qu'elle me juge parce que je me masturbe alors que pour elle c'est impur. Je n'ai pas envie qu'une personne que je considère comme une amie me trouve impure… Je pense que cet aspect est important pour moi et pas les autres (je ne m'inquiète pas de son jugement si je mangeais de la viande saignante, par exemple) parce que dans mon histoire personnelle, dans mon histoire à mon corps, j'ai moi-même culpabilisé de me masturber quand je découvrais mon corps, et ça a duré plusieurs années. J'ai dépassé ça, mais du coup, la possibilité que peut-être je sois jugée par les autres alors qu'aujourd'hui ça va, me renvoie forcément à cette histoire. Le reste, en fin de compte, de mes réflexions, ne concerne pas notre relation à nous deux, mais ma relation à moi avec le religieux.

Relation assez étrange, d'ailleurs, complexe, car par ailleurs j'apprécie visiter cathédrales et églises, regarder les vitraux, profiter de la fraîcheur, de la beauté des lignes élancées. J'aime les mythologies, actuelles ou anciennes, les découvrir. Je crois moi-même ne pas être athée, plutôt agnostique, parce qu'après tout on ne peut pas savoir si le divin existe, ça nous dépasse, et je crois aussi que ce qui se rapproche le plus d'un dieu pour moi, c'est Dame Nature, même si je ne sais pas trop dire ce que je mets exactement derrière, à part l'immense toile de la vie, où chaque espèce vit en interconnexion avec les autres.

Parler à ma collègue de ces questions religieuses m'a aussi fait du bien. Elle est de la même génération que moi, a suivi le catéchisme car elle vient d'une famille croyante parfois pratiquante, et qu'elle-même ne se reconnaît pas dans les religions. Elle m'a dit que le Dieu qu'on lui avait présenté ne ressemblait pas au Dieu de mon amie, parce qu'il ne punit pas (mais peut-être aussi que j'ai mal compris ce qu'a voulu dire mon amie, ou qu'elle a été imprécise, ou tout ça à la fois). Je crois que ça m'a offert une respiration, dans mon cerveau prompt à tenir sa prise et à ruminer, de me dire que Dieu n'était pas considéré de la même manière partout.

Dans tous les cas, comme je le lui ai dit, je n'ai aucune intention d'arrêter d'être son amie juste parce que nous n'avons pas la même culture, le même rapport au monde. Ça n'aurait pas de sens (d'autant moins que je me retrouverais quelque part à faire ce que je reproche à son dieu). Je trouve juste assez incongru d'avoir d'un côté une amie Témoin de Jéhovah qui interprète certains versets de la Bible comme étant contre l'homosexualité (ce qu'a battu en brèche le Père Matthieu sur TikTok), et de l'autre une amie pansexuelle. Il va me falloir un peu de temps pour trouver un nouvel équilibre dans mon rapport au religieux, mais ça va se faire. J'ai rendez-vous avec la psy dans le mois. Peut-être que j'en parlerais – je dis peut-être parce que je ne sais jamais ce qui va sortir de ma bouche ; même quand je prévois quelque chose, c'est autre chose qui sort.

Du coup, ce soir, longtemps après avoir écrit l'article, on a pu s'appeler, pour parler de complètement autre chose, et c'était très bien parce que ça a achevé de la démystifier et de lui rendre son individualité (ce qui avait commencé quand, en lisant des listes d'interdits des Témoins de Jéhovah, y avait plein de trucs que je sais qu'elle fait, comme jouer aux jeux vidéos). Donc c'est bien ! Toute cette affaire ne me trouble que sur mes propres fondations.

2 commentaires:

  1. C'est toujours très intéressant ce genre de conversation, ça vient parfois nous secouer un peu mais ça permet d'ouvrir le débat sur les croyances de chacun.
    Je crois que la religion offre le meilleur comme le pire.
    Personnellement j'ai du mal avec la vision d'un Dieu qui contrôle, corrige, ordonne, contraint. Mais c'est le fruit d'une longue quête et de beaucoup de questionnements.
    Je milite pour un Dieu Amour et je sais qu'il est pleinement présent chez certains, d'ailleurs je suis avec passion toutes les manifestations interreligieuses car je crois que nous pouvons tous nous retrouver dans une même foi.
    Mais je sais aussi les travers de nos croyances et nous sommes malheureusement tous témoins des atrocités perpétrées et des idolâtries menaçantes.

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    1. Oui, c'est très intéressant ! Et je pense que c'est le genre de trucs dont on ne se parle pas forcément beaucoup/assez.
      À l'heure actuelle, je ne dirais pas que la religion offre le meilleur comme le pire : je dirais que la foi offre le meilleur, et que la religion (qui émet des règles, des jugements, pompe de l'argent et s'engage dans les jeux de pouvoirs depuis le début) offre le pire. C'est mon côté cynique.
      Je crois aussi que les croyants des religions monothéistes peuvent se retrouver dans une même foi. D'ailleurs, à l'origine, tout le monde a le même dieu et tout le monde est d'accord avec l'Ancien Testament (alors qu'on tape sur les Juifs, des fois faut pas chercher à comprendre). Des schismes se sont fondés sur des désaccords mineurs et les gens se tapent dessus pour rien... Si on pouvait oublier le pouvoir et juste voir qu'un bout il y a le même dieu ça irait beaucoup mieux. Et si on pouvait oublier le pouvoir tout court d'ailleurs – j'ai appris qu'en 2017 et 2018 le gouvernement d'Inde, hindouiste extrémiste, avait retiré le Taj Mahal des brochures touristiques parce qu'il a été fondé par un musulman...

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