lundi 5 décembre 2022

La confiance et le rejet

Source – Ruca Souza

Il s'est passé aujourd'hui un truc très étrange, enfin… ça n'aurait pas été étrange un an en arrière mais, aujourd'hui, ça l'était : je n'ai pas ressenti le besoin d'envoyer des messages autour de moi à chaque truc qui m'arrive (une boulette en studio, réaliser que j'avais peut-être pas éteint le radiateur en partant ce matin, etc.). Ce n'est même pas que j'ai dû résister à l'impulsion ; c'est mieux que ça : je ne l'ai pas ressentie. Sur le chemin des toilettes, en milieu de journée, je me suis même surprise à penser qu'aujourd'hui mes pensées n'étaient rien qu'à moi, et à en éprouver une sorte de soulagement. J'ai toujours été secrète, jusqu'à ses derniers mois où j'ai commencé à envoyer des messages à deux amis au cours de la journée pour me décharger d'émotions que je ne pouvais gérer de l'intérieur, sans être vraiment sûre que ce soit bien consenti ou bien perçu de l'autre côté, et surtout sans le choisir vraiment puisque c'était plus de l'ordre de l'impulsion. Rétrospectivement, je n'ai pas eu cette impulsion hier non plus. Ni samedi, pas trop. 

Et je me rends compte en fait que ça me faisait souffrir ou du moins que j'étais bien aujourd'hui, avec mes pensées rien qu'à moi, et surtout à me surprendre à être capable de gérer et de prendre du recul par moi-même. Quand j'ai réalisé que je n'avais peut-être pas éteint le radiateur de la salle de bain ce matin, je me suis dit que je n'aurais qu'à pas l'allumer dans les jours qui viennent pour compenser, et que de toute façon j'étais encore bloquée en studio et que je ne pouvais rien y faire. J'avais laissé mon tapis sécher dessus. C'est un sèche-serviettes, donc normalement pas de risques, mais j'ai quand même approché mon téléphone d'une fenêtre pour vérifier si on ne m'avait pas appelée pour me prévenir d'un incendie. Dans la voiture, je me disais que tous ces messages que j'envoie depuis des mois à longueur de journée pour me décharger ne font en fait que me diluer. Je me dilue dans l'attente que les autres m'apportent un soulagement, reconnaissent mon existence alors même que je suis pour eux une relation fictive ; je me dilue en espoir d'être reconnue, d'être englobée par l'autre pour ne pas avoir la sensation d'être rejetée ; je me dilue et je perds mon énergie, celle qui me permettrait de gérer moi-même.

Sur un article précédent, Virevolte m'a parlé de la blessure de rejet et m'a donné le lien d'un article de magazine. Je m'y suis beaucoup reconnue. Le soir-même j'ai fait un rêve dans lequel une amie qui n'était pas vraiment elle (pas la bonne coupe de cheveux et couleurs d'yeux) listait ses complexes et je me disais : "moi aussi quand ce sera mon tour dans le groupe de parler, je dirais ça" et elle a parlé de sa taille et tout à coup je me suis sentie me redresser. Je me suis demandée si le fait que j'ai tendance à être tassée n'était pas en lien avec le fait de vouloir passer inaperçue, trait de la blessure de rejet. Le refuge du monde intérieur, se sont bien sûr mes fantasmes envahissants ; quant au faux-self, ce sera celui du signe extérieur de valeur et cette pensée qui me traverse parfois : "quand je serais publiée, ils verront tous que…" – ils verront tous que rien du tout, puisque ça ne veut rien dire. En revanche, je ne me suis pas reconnue dans les causes. J'en ai parlé à la psy lors du dernier rendez-vous. Je voulais parler de blessure de rejet, et elle m'a amenée sur ma famille ; je n'ai pas trop compris le lien, j'ai toujours l'impression d'être sortie de là sans avoir parlé de ce pour quoi j'étais venue.

À peu près au même moment j'ai réalisé que le forum d'écriture sur lequel j'étais me prenait beaucoup d'énergie pour pas grand-chose : les messages échangés en privé devenaient plus intéressants et stimulants pour moi que les sujets du forum. J'y perdais aussi énormément de temps à chercher à répondre à des choses (je me demande si ça n'a pas un lien avec une sorte de "si je les aide, si je réponds, ils ne pourront pas me rejeter" ?). J'ai réalisé qu'à force de mettre mon nez dans les débats stériles avec des wokistes frappés du bulbe je m'étais usée en anxiété et en baisse de l'estime de moi. Quand vous ne discutez qu'avec des personnes qui vous prennent de haut avec condescendance et admettent débattre avec cette idée de vous convaincre et de penser mieux que vous, vous avez beau être certain d'avoir raison et de bien agir, ça use. Or, au même moment, sur un groupe Discord avec quelques membres du forum, on me faisait comprendre que je n'étais pas la seule à trouver certains comportements limites, et on me faisait des compliments. J'ai aussi réussi à retourner à l'aïkido après plusieurs semaines sans en faire, et le prof m'a dit qu'on avait demandé après moi et qu'ils étaient contents de me voir. Ça m'a fait plaisir, je me suis sentie comme une gamine, et j'ai réalisé à quel point ça me manquait, d'entendre et de lire des choses gentilles. C'est fou comme on peut changer de regard sur soi quand on parle aux bonnes personnes.

Grâce à Haikyuu j'avais déjà compris que mes fantasmes envahissant me font plus de mal que de bien, parce qu'ils creusent encore plus profondément le gouffre qu'ils essayent frénétiquement de combler. Hier j'ai pris toute la mesure du problème, ou du moins sur une dimension autre. Pour la première fois depuis longtemps je me suis masturbée sans fantasme particulier, sans imaginer quelqu'un avec moi, juste en me concentrant sur les sensations (vous m'excuserez de ne pas avoir recours à des euphémismes et de jolies formules comme "plaisirs solitaires", etc. : appelons un chat, un chat) et j'en suis ressortie beaucoup mieux, dans mon corps, dans ma tête, que quand il y a fantasme envahissant. Faut dire aussi que j'ai un rapport compliqué à l'auto-érotisme, je crois même que je n'en ai jamais parlé ici, encore, parce que je n'ai jamais su vraiment trouver les mots ; mais, bien souvent, j'ai cette impression que le désir revêt plus un côté pulsionnel et soulageant plutôt que réel. Je sais maintenant que je suis beaucoup mieux en moi quand mes fantasmes me laissent tranquilles et quand je les repousse au lieu de les accueillir.

Je parle de cette découverte parce que je me demande à quel point elle a eu des répercussions dans ce qu'il s'est passé aujourd'hui ou plutôt dans ce qui ne s'est pas passé.

Hier, j'ai aussi lu toute la journée, et dans le roman un dragon envoie ses pensées à un humain avec frénétisme – un peu comme moi avec mes messages, me suis-je dis tout à l'heure dans la voiture. J'ai découvert que je pouvais éprouver de la joie par moi-même, aller mieux par moi-même, sans avoir quelqu'un qui me guide ou qui conditionne ma joie. Donc, je peux aussi réguler mes émotions par moi-même, sans avoir besoin d'envoyer des messages frénétiques, impulsifs, et de me diluer. Je peux passer une bonne journée sans m'inquiéter de recevoir ou non des messages (j'ai encore tendance à regarder beaucoup mes boîtes de réception quand je m'ennuie, en revanche, ou plutôt quand les tâches qui m'attendent ne me bottent pas plus que ça ~ et aussi quand j'ai vraiment peur qu'une personne ne réponde pas ou ne réponde plus pour X raisons qui lui appartiennent mais qui m'effraient). En studio, j'avais mal au dos ; j'ai pensé au vieux fantasme de l'ami qui me masserait, et je me suis morigénée : si j'ai mal au dos, plutôt que d'attendre un soulagement extérieur qui de toute évidence n'arrivera jamais, je peux tout aussi bien faire mes étirements correctement. Personne ne m'apprendra à mieux parler une langue, dessiner ou jouer du piano : si je veux apprendre, je prends le temps et je fais moi-même. Personne ne me motivera de l'extérieur à faire mes exercices pour le dos, les étirements et la musculation, pour rester plus droite. Ça m'a fait une sorte de petit électrochoc (ce qui est étrange en soi, d'ailleurs, car je sais depuis longtemps que ces vieux fantasmes d'un "ami-enseignant" ne sont justement que pur fruit de mon imagination). Je ne sais pas s'il sera vraiment suivi d'effets immédiats dans la mesure où prendre soin de moi a toujours été compliqué.

En tout cas, j'aime cette sensation d'avoir mieux la maîtrise, de moins subir ce que je pense ou mes impulsions – même si je reste très à fleur de peau, ces derniers temps, et facilement irritable. J'aime cette sensation de ne pas me sentir obligée d'aller voir sur Whatsapp si une amie a répondu. J'ai l'impression que c'est un changement plus balbutiant que celui qui a suivi Haikyuu, mais aussi plus profond et, donc, plus durable si je l'accompagne.

Je ne sais pas si je voudrais parler de ça à la psy tout de suite. On a beaucoup parlé (enfin, elle m'a beaucoup fait de remarques) sur le fait de s'accorder le droit d'avoir de la joie ou du plaisir (qui ne soit pas forcément sexuel, je précise) et d'accepter de ressentir ça. Je ne lui ai pas encore dit que quand j'étais au collège je me trouvais ridicule de vouloir partager les choses qui me rendaient joyeuses, que je trouvais ça niais, et que donc, je ne le faisais pas, ou je me rabrouais après. Je n'y pense jamais, mais il va falloir.

La prochaine fois, je voudrais plutôt parler du bruit dans ma tête. Ça chante beaucoup en ce moment, beaucoup trop. Samedi dans la grande ville du coin quand je dépensais mes chèques de Noël dans des livres (oui, j'ai tout passé dans des livres !) ça allait, je n'ai rien entendu chanter. Quand je lis non plus, ça ne chante pas. Généralement, en ce moment, ça chante plutôt le matin et le soir. Mais la semaine dernière c'était très permanent.

En tout cas, j'espère que ce qu'il s'est passé aujourd'hui va continuer, et que je vais garder mes pensées pour moi toute seule. J'ai l'impression d'être plus entière, plus libre, et de mieux réfléchir quand je garde mes pensées pour moi toute seule au lieu de me diluer dans les autres. J'étais soulagée aussi, je crois, que mon amie dans une situation grave ne m'ait pas répondu : le fait de devoir réfléchir à sa situation me prend beaucoup d'énergie, j'y pense beaucoup trop et ça s'entremêle à mes propres problèmes, je me laisse envahir et mes pensées ne sont plus à moi. Je vais essayer de ne me connecter à Whatsapp qu'à la pause déjeuner seulement chaque jour, voir si ça aide. J'aime bien garder mes pensées que pour moi et ne pas m'éparpiller. J'ai remarqué aussi que ces derniers mois, quand je parlais toute seule chez moi pour m'aider à réfléchir, c'était seulement pour mon amie, ou en lien avec le forum, et plus pour moi (sauf pour le roman), pour démêler mes pensées, alors que parler toute seule pour réfléchir m'a toujours permis de réfléchir plus vite et de mieux me comprendre.

Dites : est-ce que les papillons dans le ventre qu'on a pour soi-même quand on tombe amoureux, c'est les mêmes que quand on lit des romans ?

2 commentaires:

  1. Coucou...
    J'avoue avoir eu un peu de mal à te suivre aujourd'hui... Après je t'ai lu en ayant mon petit gars de 4 ans dans les jambes, donc forcément moins concentrée...
    Sinon je suis contente pour toi que tu tires du positif plutôt que du négatif...
    Moi je dis que la société d'aujourd'hui ne te convient pas en fait... Il faut se détacher des appareils, se recentrer sur le réel, sur l'instant présent... mais facile à dire n'est ce pas!
    Sinon pour répondre à ta dernière question, personnellement aucun roman ne m'a donné de papillons dans le ventre comme quand je suis tombée amoureuse de mon mari et de deux autres garçons dans ma vie.... Donc pour moi je ne sais pas te dire si ce sont les mêmes papillons

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    1. Je ne crois pas que ce soit qu'à cause du pitchoun : je crois que je suis souvent un peu confuse parce que tout se mélange dans ma tête et que ça sort un peu tel quel...
      J'essaye de tirer des trucs positifs, j'y arrive pas souvent. Mais la psy dit que pessimiste c'est pas un trait de caractère et que ça se choisit donc y a de l'espoir !
      Se recentrer sur le présent, c'est dur. Mon esprit s'est toujours projeté sur le futur (faudrait que j'en parle aussi à la psy, d'ailleurs, maintenant que j'y pense). Mais aujourd'hui je n'ai pas pris mon téléphone quand j'ai quitté la radio pour le repas et le début d'après-midi, donc pas de tentation de regarder Whatsapp et si mon amie m'avait répondue, et en fait je me suis rendure compte que ça ne m'avait pas manqué. Je crois que c'est dur aussi de se recentrer sur le réel quand le réel ne nous convient pas. J'essaye de faire en sorte qu'il me convienne mieux, au travail surtout, mais ce que je construis d'un côté (une émission de reportages) le patron me l'enlève de l'autre en voulant me rajouter du temps d'émission de flux/musique… j'essaye de créer un meilleur équilibre, et je me casse la gueule.

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