La dernière fois, avec la psy, est apparu que je ne me sens pas chez moi, ici dans les Ardennes (bon, ce n'est pas la nouvelle du siècle), mais surtout que la dernière fois que je me suis sentie chez moi pour de vrai c'était quand j'étais ado/jeune adulte chez mes parents, et que depuis, je ne suis chez moi nulle part. Même chez mes parents, parce que quand une bénévole de la radio me demande "vous rentrez chez vous pendant les vacances ?" ça me met en colère – parce que "chez moi" ce n'est pas chez mes parents : "chez moi", c'est nulle part. Cette nuit pendant mon trou de trois heures dans la nuit je me suis dit que c'était peut-être pour ça que je ne me sentais pas de tout plaquer, vendre tous mes meubles et partir vivre à l'étranger : je me sens déjà si peu chez moi, que si en plus je me sépare de mes meubles, il ne me restera vraiment plus rien pour avoir un semblant de sentiment d'être quelque part. Là, j'ai pas de chez moi, mais au moins j'ai mes meubles comme une petite carapace de tortue. Puis, je ne risque pas d'avoir l'occasion de trouver tout de suite un chez moi vu que, selon toutes probabilités, je n'intéresse pas la recruteuse de Brest.
J'étais censée avoir une réponse pour un entretien hier, je crois, dans les dix jours suivant la date butoir des candidatures et… rien. Pas d'appel, pas de mail, rien dans les spams… J'ai essayé d'appeler la dame de la médiathèque aujourd'hui, ai été renvoyée à l'accueil de la mairie, face à une dame qui acquiesce d'un "hmm hmm" qui signifiait visiblement "je m'en fous de ce que tu me racontes" et qui finit par me dire de rappeler lundi parce que les services sont fermés. Ben, si c'est fermé, pourquoi tu me réponds, alors ? J'ai envoyé un mail à la recruteuse, en direct, on verra bien, mais j'ai arrêté de me faire des illusions. D'ailleurs, je devrais arrêter dans le futur aussi. C'était clairement trop beau pour être vrai : un poste sympa dans un lieu sympa dans la ville parfaite. Pas pour moi. Clairement, pas pour moi. Ce qui me saoule, c'est les gens qui me disent : "ce n'est pas grave, si ce n'est pas ça ce sera autre chose". Ouais mais en fait ça fait deux ans, même plus, que je cherche, et que ce n'est jamais autre chose, donc j'en ai marre de m'entendre dire ça, vraiment ça ne m'aide pas, ça me fait juste me dire qu'au contraire, si ce n'est "pas ça" ça sera peut-être rien du tout. Probablement, même.
C'est marrant parce que, hier, à 17h30, heure de fermeture des bureaux et heure à laquelle il était donc clair que je ne recevrai ni mail ni appel ni rien du tout, décollait l'avion de ma cousine qui part vivre deux ans au Japon pour suivre son amoureux qui y a du travail. Il s'en passe, des choses, à 17h30. Y a des gens qui s'envolent vers leur nouvelle vie, avancent dans leur vie, et il y a ceux qui restent sur le bord du chemin, voilà. Alors, c'est un pur hasard, et à l'échelle du monde y a aussi plein de gens qui perdaient la vie à 17h30, des bébés qui naissaient, et tout ce qu'on peut imaginer au milieu. Mais n'empêche je le prends comme le symbole de ma vie : autour de moi, ça bouge. Un bénévole de la radio a réussi sa reconversion pro, une autre a validé sa VAE, l'ancienne Service Civique a trouvé un boulot sympa, ma copine du Canada progresse vers le déblocage de sa situation, les copines publient des romans, trouvent du boulot, arrivent à bout des travaux de leur maison : bref : ça bouge. Leur vie bouge, ça avance, elles ont leur bébé, arrivent à réaliser un ou deux projets quel qu'il soit, qu'il me parle ou non (parce que moi, franchement, les bébés…). Et pas moi. Et donc hier, à 17h30, je restais à quai quand ma cousine prenait son avion pour aller vivre à l'étranger (j'adorerais, vivre à l'étranger). Et voilà.
Et moi, je ne suis pas une guerrière dure à cuire. Je suis une pauvre chose fragile. Donc je ne suis pas là à fouiller les offres d'emplois en me disant que c'est pas grave, c'est le signe que je vais tomber sur mieux, que ça devait pas être ça et que l'Univers va m'envoyer sur un truc mieux. Non. Je me morfond dans mon coin. Avant, quand j 'étais ado, j'arrivais à me dire que c'était juste que tel truc ne se faisait pas parce que ça ne devait pas se faire et voilà. Maintenant… eh bien quand je regarde en arrière je me dis que finalement rien ne devait se faire, apparemment, et j'ai tellement été déçue que je n'arrive plus à réfléchir comme ça. C'est super de se dire qu'un truc ne se fait pas parce que ça ne devait pas se faire, ça préserve l'ego et tout, mais franchement, là je me dis juste que j'ai foiré ma candidature, ou je sais pas, je suis pas assez intéressante pour qu'on me recrute, apparemment, et je n'ai besoin qu'un me dise : "ce n'est pas grave, tu trouveras autre chose" parce que déjà de un je ne vois pas comment ça pourrait être vrai et de deux j'ai pas besoin de ce genre de phrases, j'ai besoin de réconfort, juste, une épaule pour pleurer et puis voilà, je remettrais le pied à l'étrier plus tard, pour le moment je vais continuer de pleurer un peu sur mon sort parce que je me suis tordue la cheville en tombant de cheval.
Ça fait deux semaines que j'oublie de rappeler le médecin pour avoir mes cachets du bonheur (comprendre : les anti-dépresseurs). Lundi, il va vraiment falloir que je l'appelle, que je chope un rendez-vous pour jeudi, parce que finalement je ne vais pas m'en sortir… je n'arrive même pas à me remettre au pilates. Deux fois de suite j'ai arrêté une séance en cours parce que je n'y arrivais pas et que je me sentais nulle, et maintenant j'ai tellement peur de me sentir nulle que je ne relance pas de séance, pour me préserver. Et l'aïkido… je n'y arrive pas, parce que je n'arrive pas à ressortir de chez moi pour prendre la voiture. C'est vraiment dur. Pourtant j'ai dix minutes de route à tout casser, mais j'y arrive pas, et plus je rate de séances, plus c'est dur d'y retourner.
Va falloir que j'arrête de raconter à tout le monde autour de moi quand je postule quelque part parce qu'après je dois aller tous leur dire que ah bah non finalement je n'ai pas eu le poste et je trouve ça tellement pathétique...