dimanche 11 août 2019

Filiation

Source – Muninn
Le fait est que je ressemble à mon père. Et ça me bouffe. Parce que, voyez-vous, mon père souffre d'un complexe de supériorité doublé d'un complexe de persécution à l'importance grandissante. Ce cocktail explosif le fait sortir de ses gonds pour tout et n'importe quoi, et considérer que tout ce que l'on dit ou fait est forcément contre lui. Par exemple il y a quelques temps il s'est énervé contre ma sœur pour je-ne-sais quelle raison. Quand je suis descendue voir ce qu'il se passait, il est redescendu peu de temps après. À peine j'avais fait un pas dans la pièce, sans soupire, sans grimace, sans aucune réflexion, qu'il a beuglé "quoi ?! qu'est-ce qu'y a ?! toi aussi t'as un truc à me reprocher ?! Nan, bah je m'inquiète pas, tu vas bien trouver !". On a aussi eu le droit à un truc du genre "vous êtes chiantes, vous me prenez pour un con, et moi je m'intéresse à vous malgré tout". Tout ça suivi d'insultes : forcément. C'était un peu trop, je me suis barrée en réclamant des excuses. Excuses que j'ai eu seulement parce que je les avais demandées. Voilà ce qu'est mon père. Et il paraît que je suis pareille. Que j'ai le même mode de fonctionnement. Ici se trouve ma hantise, mon fantôme, le genre de peur profonde que les personnages combattent dans les dessins animés, pour apprendre aux enfants qu'on n'est pas tous parfaits mais qu'on peut toujours s'améliorer.

Je ne peux pas cacher que je m'agace facilement même si finalement, et c'est sans doute encore pire, la colère qui semble transparaître de l'extérieur est beaucoup plus forte que celle que je ressens à l'intérieur. Ce n'est pas proportionné. C'est embêtant. Une colère juste est une colère qui se déclenche au bon moment et avec la bonne intensité. Je ne coche aucune des deux cases. Or, c'est important. Je ne suis pas contre la colère. On réprime la violence, mais c'est un piège : la colère peut être saine. Mais je sais aussi que ma colère est en réalité dirigée contre moi-même. Parce que je ne suis pas à la hauteur, parce que j'ai peur d'être médiocre, parce que j'ai l'impression que je pourrais faire plus (tout en sachant que je ne me foule pas non plus beaucoup, je n'étudie pas comme une acharnée, par exemple). Comme si j'avais l'impression d'avoir un potentiel inexploité qui me fait me sentir privilégiée, dirons-nous, tout en ne voulant pas partir à la recherche dudit potentiel par crainte qu'il ne soit qu'un mirage construit par ma caboche détraquée en proie à l'ambition.

Je sais, je sens bien, que ma colère est dirigée contre moi-même et d'ailleurs elle se manifeste de temps en temps comme ça. Quand je suis tout à la fois stressée, angoissée, en rongée par le sentiment d'être dans une impasse, comme si quelque chose allait se refermer irrémédiablement sur moi (alors que ce n'est qu'une construction née de mes émotions de l'instant et jamais objectivement le cas), quand j'ai l'impression que je n'ai plus de temps, il m'arrive de me frapper le front avec le talon de la main à coups répétés, parce que jeter quelque chose par terre n'est pas suffisant. C'est suffisamment fort pour que ma sœur, qui est dans la chambre jouxtant la mienne, ait déjà cru que j'avais tapé contre le mur. Je vous avais déjà raconté que mon rapport au corps, au mien surtout, est un peu détraqué. Eh bien ça se vérifie un peu tout le temps...

Je sais que ma colère est dirigée contre moi et j'ai l'impression confuse qu'elle est insondable. Un peu comme la colère déchaînée de Sekhmet, déesse lionne de l'Égypte antique que Rê, dieu du soleil, avait jeté contre les Hommes pour les punir de l'avoir regardé avec arrogance lorsqu'il devint un vieillard. Sekhmet échappe en quelques sorte à Rê et met tant à mal l'humanité que le dieu doit faire quelque chose pour l'arrêter et décide de la piéger avec de la bière. Se comparer à une déesse, ce n'est pas très gentil pour elle, mais c'est ce genre de colère sans fin ni véritable but que j'ai parfois l'impression de ressentir. Même si je ne me sens pas perpétuellement en colère – fort heureusement ! –, quand je le suis, c'est parfois l'effet que ça me fait. Sauf que moi, je suis livrée à moi-même et n'ai pas de Rê pour me soûler haha ! :)

Je sais que, la seule voie de sortie, c'est la psychothérapie, qui me fera le plus grand bien, d'autant que quand je dis à ma mère que j'essaye de m'améliorer, la seule réponse que je reçois c'est que ce n'est pas possible. Great ! On avance !

Tout n'est pas perdu. Dans la pensée égyptienne il est impossible d'être totalement bon ou totalement mauvais et même Sekhmet la Puissante a ses heures de gloire, ayant défendu Rê contre ses ennemis. J'ai aussi l'avantage d'avoir suffisamment de recul sur moi. J'ai toujours cherché à m'analyser, à savoir le pourquoi du comment de mes réactions, même si évidemment, plus jeune, je touchais moins dans le vrai et avec moins de finesse. C'est une capacité que j'entretiens ; d'essayer de m'analyser, de comprendre comment je fonctionne, et pourquoi.

10 commentaires:

  1. Que de maturité ! La psychothérapie semble une bonne alternative! J'ai une psychologue cognitive formidable ! Et tu n'es pas ton père, tu lui ressembles peut-être mais tu n'es pas lui, ne l'oublie pas 😉

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    1. Tu trouves ? Moi j'ai l'impression de m'empêtrer dans la mélasse !...
      J'ai déjà mené quelques recherches et il y a une psy dans ma ville d'étude qui me plaît bien. Elle est spécialisée dans le rapport au corps, et d'instinct elle m'a bien plu. Mais je ne pourrais aller la voir cette année que si je trouve du travail pour payer les séances...
      Je suis un être différent, c'est vrai, et c'est bon de le rappeler, mais ma mère me dit "tu es exactement pareil" en insistant bien sur "exactement". Si je suis comme quelqu'un d'une manière exacte, alors suis-je toujours moi ? Question qui peut paraître stupide et pourtant c'est aussi le fondement de la question.

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    2. Ah non ! Tu es dedans c'est pour ça que tu penses ça !
      Et si tu allais voir une assistante sociale de ta fac pour voir les aides possibles?
      Tu as assez de maturité pour savoir qu'elle ne voit pas les nuances... Si tu étais EXACTEMENT comme lui tu ne serais plus toi ^^. On vit avec nos parents donc forcément on mime leur caractère comme on l'a appris enfant mais quand on a conscience de ça, on peut le changer.

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    3. Pas bête, va falloir que j'aille la voir, mais il y a sans doute tellement d'étudiants qu'avoir un rendez-vous... puis je crois que c'est aussi important pour moi de pouvoir payer par moi-même, comme une espèce de... prise d'indépendance (c'est pas le mot que je cherche).
      Et j'espère bien pouvoir changer !

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  2. La question de la filiation, de ce qu'on a reçu de nos parents malgré nous, nous taraude tous un jour.
    Tu n'es pas ton père, c'est une réalité.

    J'ai commencé une thérapie de mon côté, sur ma famille. La psychogénéalogie dont je parlais sur mon ancien espace.

    Lors de la deuxième séance, nous avons travaillé sur le Projet Sens de mon père. Parce que pour le moment, c'est lui qui me pose le plus de "problèmes".
    C'est à dire que grâce à un protocole, on a réussi à débusquer les intentions conscientes et inconscientes que mon père a posé sur moi, à ma naissance et au cours de ma vie.

    On appelle ça des "programmations". Nous en avons trouvé 9 !
    Pour chacune d'entre elle, on a trouvé la racine, qui venait de son histoire, de celle de ses parents et aïeux, de ses propres programmations.

    A la fin de la séance, pour chacune d'entre elles, j'ai listé ce que je souhaitais garder (les forces, les bonnes choses, ce avec quoi je suis en accord), et celles que je souhaitais lui rendre (les faiblesses, les "mauvaises", celles qui ne m'appartiennent pas ...). Et j'ai fini par le lui dire à voix haute. Il n'étais pas là physiquement, mais c'était dans l'intention.

    Ca m'a fait beaucoup de bien. Comme un gros fardeau levé de mes épaules, et la possibilité pour moi, à partir de ce jour, de n'être que "moi".

    Je ne sais pas si cette expérience te parlera. En tout cas, tu peux travailler sur ce qui te ronge.

    Et tu sais, je ne paie pas mes séances avec ma psy. Concours de circonstances. J'ai voulu au départ, donc je vois ce que tu veux dire quand tu ne trouves pas les mots et que tu parles "d'indépendance" mais ... Finalement, c'est OK.

    Si tu sens que tu en as besoin, fonce !

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    1. J'espère bien que tu as raison ! Devenir comme lui à ce point-là me terrifie !

      Je ne vois pas très bien quel genre de protocole peut faire découvrir ça... comment tu t'y es prise, concrètement ? Tu comptes en parler physiquement avec lui à la fin de tes recherches générales ?
      Oui, j'imagine que savoir d'où viennent certaines choses aide à s'en détacher et à décider qu'on n'a rien à voir là-dedans.

      Je sais qu'il y a des structures spécialisées où tu ne payes pas ton psychologue, et j'ai la fille d'une amie à qui le psychologue a fait une ristourne comme elle ne gagnait pas énormément à l'époque... mais je pense qu'en fait ça dépend des psychologues, faudrait effectivement que je me renseigne sur la manière de fonctionner de celle que j'ai repérée.

      Merci pour tout ce que tu m'as dit, ça met sur des pistes !

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  3. On prend parfois des traits de caractère de nos parents. Mais rien ne nous empêche de veiller à ne pas reproduire ce qu'ils ont de moins bon. Je crois que la pire chose qu'on pourrait me dire c'est "t'es comme ta mère" ! N'écoute pas la tienne : bien sûr que tu peux changer si tu le décides ! Même si l'adage "chassez le naturel, il revient au galop" a sûrement une part de vérité...

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    1. Voilà, c'est exactement ça, ne pas reproduire. Même si le caractère est en nous, ne pas reproduire.
      Effectivement je pense que cet adage a une part de vérité, mais du coup le tout est de ne pas chasser le naturel mais de le soigner !

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  4. Tu as encore dit le plus important à la fin de ton article. Tu as cette capacité et beaucoup ne l'ont pas. Tu peux être fière de toi pour ça. J'ai envie de te dire que tu n'es pas comme ton père. Tu as sûrement des points communs avec lui, des ressemblances, mais ce n'est pas exactement la même chose, non. Ne te dis pas ça, surtout si tu t'identifies à ses côtés négatifs, sinon tu ne vas pas t'en sortir. Peut-être qu'en parler à un professionnel t'aiderait, mais je crois que tu sais bien que ce qui t'aiderait le plus, c'est simplement d'être douce avec toi-même et de t'offrir plus d'amour. J'espère que ça va venir :)

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    1. M'offrir plus d'amour... je pense que c'est assez juste... surtout quand on voit comment je traite mon corps... j'y viendrais peut-être un jour !

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