mercredi 27 janvier 2021

Derrière l'écran, il y a des humains

Source – Anete Lusina

J'ai envie d'écrire ici sans trop savoir quoi raconter alors ça sent l'épanchement déprimant pour vous ou l'article bien décousu... je verrai ce que j'en ferais à la fin, de toute façon. Depuis quelques temps, je pensais écrire un article sur le lien social et j'avais commencé à me faire une petite bibliographie mais finalement j'ai mis les priorités sur d'autres choses et je n'ai pas vraiment avancé dans ce sens. Pourtant je trouve que c'est un sujet particulièrement intéressant surtout en ce moment.

D'une part évidemment parce qu'on est pris dans les questions sanitaires, mais aussi avec l'évolution (ou ce que je crois constater être une évolution) des relations sur les réseaux sociaux et du débat public. Il y a d'un côté le vrai lien social, le fait de voir ses amis ou ses proches d'une manière générale, de voir des gens en allant à la salle de sport, etc., mais aussi les interactions sur les réseaux. Parce que oui, ces interactions sont aussi une sorte de lien social. Je suis de plus en plus déprimée de constater que l'on ne se parle plus. On "aime".

Sauf qu'un "j'aime" peut vouloir dire tellement choses ! Il peut vouloir dire "je suis d'accord", ou "je n'y avais jamais pensé", ou bien encore "merci pour le fou rire !", "oooh trop mignon !", "j'adore ce que tu fais", ou tout simplement être un coup de pouce pour faire remonter la publication dans les fils d'actualité des autres internautes. Je trouve ça dommage de juste "aimer" quand on pourrait écrire ce que l'on pense à la personne ! Par exemple l'autre jour je me suis prise à "aimer" le tweet d'une personne qui disait qu'elle serait moins présente pour cause de déménagement, histoire de dire "on comprend, t'excuse pas". Puis je me suis dit que quand même dire quelque chose serait plus sympa. Plus humain. Alors j'ai écrit quelque chose. C'est tout bête, mais je pense que l'on a tendance à oublier que l'on ne parle pas à des ordinateurs et des algorithmes mais à des gens.

C'est difficile de dire quel impact ont eu les confinements et les mesures d'éloignement, mais je me demande si ça n'a pas exacerbé un processus déjà enclenché. Il y a quelques temps, j'ai discuté avec une lectrice par commentaires, on parlait de suivi psychologique, et elle me disait que "maintenant les séances peuvent aussi se faire via un écran, c'est plus pratique :)". De même, une copinaute sur Twitter  faisait une l'étude de marché pour son projet d'accompagnement et d'atelier d'écriture thérapeutique . J'y ai participé. Elle demandait dans son questionnaire si l'on préférait des séances en présentiel ou à distance. Nous en avons reparlé par téléphone et nous sommes tombées d'accord pour dire que c'est une activité qui est dans l'humain et que le présentiel est quand même mieux. Une séance de psy par un écran, c'est sans doute très pratique, mais où est la relation humaine ? Je veux dire... regarder un écran n'a rien à voir avec se rendre auprès d'une personne, la voir en chair et en os, capter les émotions, etc. Pour moi, suivre des séances de psy par visio reviendrait à parler avec un robot.

La technologie est super, mais ça n'a rien à voir avec le fait de voir vraiment des gens. Un cours en vidéo est pratique, on peut le lancer quand on veut, le consommer comme une vidéo sur YouTube, mais on perd l'aura du prof. Or, des profs avec des auras qui captaient même le fond d'une classe remplie de soixante personnes, j'en ai connus ! D'ailleurs, j'ai fini par comprendre que je me mettais devant en cours parce que j'aime capter l'aura des profs. Et je n'ai jamais compris les gens qui, au théâtre ou lors d'un one man show, regardent au travers de l'écran de leur téléphone.

J'ai l'impression aussi qu'on ne se parle plus. On "aime". Je me demande d'ailleurs si ça n'a pas commencé avec Facebook, quand on a utilisé les publications de nos amis pour savoir ce qu'ils devenaient sans avoir besoin de leur parler pour le leur demander. Tout ça dans un contexte de polarisation du débat où le gris n'existe plus et où tu dois choisir entre le blanc et le noir ; où les autres cherchent à te convaincre ou te faire taire. Je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué. Je crois que Macron disait quelque chose de similaire dans sa longue interview à L'Express il y a quelques temps. Et le journaliste Thomas Sotto, sur Twitter, a mis en légende "Je chéris la nuance. Oui, je sais, c’est complètement démodé.".

Tout ça aussi dans un contexte où on soupçonne les autres. Plutôt que de leur laisser le bénéfice du doute, de penser qu'ils ont commis une maladresse à l'égard de telle ou telle "minorité", les militants partent du principe que le propos visé est une insulte, un dénigrement, une malveillance ("pourquoi mettre cet exemple là si ce n'est pas pour dire que toutes les femmes trans participant avec les femmes dans les disciplines sportives trichent ?").

On ne se parle plus. On se tape, on crie, on se dénigre, on part du principe que l'autre nous veut du mal. Disparue la bienveillance. D'ailleurs, quand j'ai répondu en entretien d'embauche que le plus important dans la gestion de bénévoles c'était la bienveillance, l'un des recruteurs m'a regardée bizarrement : visiblement il ne s'attendait pas à cette réponse !

Un sociologue invité dans C Politique il y a deux semaines disait aussi que ceux qui savent vraiment ne parlent pas. Du coup, les places en plateau TV mais aussi dans le débat public sont prises par ceux qui savent moins mais croient savoir plus. Et ces personnes, avec toutes leurs certitudes, participent à la polarisation du débat. Et on ne se parle pas.

Une camarade de lycée m'a bloquée sur Facebook parce que je lui ai demandé la source des chiffres qu'elle publiait et que je lui ai ensuite dit qu'ils étaient faux (non, l'espérance de vie des femmes trans n'est pas de trente ans!). Alors, je n'ai peut-être pas été très diplomate dans ma manière de dire, mais elle m'a quand même bloquée "pour ça".

On ne se parle plus.

Cet extrémisme dans les relations me dérange. Je vous en avais déjà parlé il y a plusieurs mois, d'ailleurs.

Ici et là, dans les commentaires laissés chez d'autres blogueuses, j'ai pu me plaindre de ne pas moi-même recevoir de commentaires. Ce n'est pas pour les statistiques que je m'en préoccupe. Mais je m'interroge. Est-ce juste la disparition de plateformes comme Hellocoton et d'effet de communauté qui fait ça ? Ou le fait que l'on lit davantage les blogs sur téléphone ce qui rend l'écriture de commentaire plus ardue ? Ou bien le fait que l'on ne se parle plus ?

Un petit mot, même tout bête, même tout simple, produit beaucoup plus chez une personne qu'un "j'aime". Je pense que l'on est entré depuis un moment déjà dans une ère de consommation. Et je vous dis ça alors que je n'ai rien de particulier contre le système capitaliste. Je ne dis pas ça par militantisme, pour chercher à appuyer une démonstration : je vous propose une analyse, ou du moins une interrogation que j'ai actuellement. On consomme les réseaux sociaux, on se tape dessus comme une bande de fauves, comme si rien n'avait de conséquence, comme si on s'adressait à des machines.

Mais, vous s'avez quoi ?
On s'adresse à des gens.

Derrière les écrans, il y a des gens.
Des gens qui souffrent quand on les accuse de malveillance. Quand on leur tombe dessus pour rien.

Je discutais avec une internaute sur Twitter. Elle a conclut en disant "la transphobie tue".
La haine tue. Peu importe si on parle à l'échelle d'un groupe ou d'une personne.
La haine tue. Le harcèlement scolaire tue. La transphobie tue. L'homophobie tue. Le racisme tue.
C'est la haine, qui tue.
Et la haine, on la voit de plus en plus.

Le fait d'être au chômage m'a fait développer mon utilisation de Twitter, puisque j'ai du temps. Je me suis laissée prendre au piège et me connectais plusieurs fois par jour, pour rien ; parfois parce que je m'ennuyais, parfois juste "pour voir" (alors que clairement avec trente abonnés c'est pas les notifications qui se bousculent ! (et c'est très bien comme ça)). C'est pesant.

Je me suis éloignée de Twitter parce que j'ai beaucoup de mal à lâcher-prise et que constater tous les jours la bêtise des gens, l'incapacité à parler, à se comprendre, à discuter sans se sauter à la gorge, me pèse. Les gens sont fous.
Si je restais sur Twitter à cette fréquence, je pourrais tomber en dépression.
La dépression tue.

J'ai parfaitement conscience de ce que je viens d'écrire. Justement, je voudrais que ça permette de faire réaliser à chacun que les mots que nous choisissons, collectivement et individuellement, peuvent être porteurs d'immenses conséquences chez les gens qui les reçoivent.

Pensons toujours que nous nous adressons à des personnes.
Des êtres doués de sensibilité.

"Détruire ou être détruis" est une mauvaise règle.
Arrêtons de chercher à convaincre les autres et cherchons à les comprendre.

Parlons-nous !

6 commentaires:

  1. C'est vrai que l'on ne se parle plus. Les blogs sont devenus un peu has-been et il n'y a plus cet esprit de communauté. Alors que si l'on revient 10 ans en arrière, il y avait une véritable interaction et c'est ce qui était très intéressant avec le blogging.

    Aujourd'hui, tout ce qui est "like" etc est source à business et une attraction pour les marques. On n'aime plus qu'à moitié. Sur les RS, l'information fuse. C'est dingue. On oublie presque ce que l'on a aimé/vu tellement que c'est dense. C'est une explosion de couleurs et de saveurs aussi douces qu'amères. Mon meilleur ami m'a envoyée une vidéo où un journaliste expliquait que les réseaux sociaux rendaient malheureux... et c'est bien vrai...

    Courage à toi. Les gens sont vexés pour rien et ne prennent plus le temps de débattre tranquillement. Il y a l'écran entre les humains et les sentiments. C'est triste mais c'est devenu une extension de nous-mêmes, je trouve. Après évidemment, ce n'est pas valable pour tout le monde mais bon... en majorité oui.

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    1. C'est vrai ! Je bloguais déjà il y a dix ans et il y avait beaucoup plus d'interactions ! Faut dire aussi qu'on profitait pas mal de Hellocoton, mais je ne crois pas que ce ne soit que ça ! Je trouve aussi qu'il y a de plus en plus (ou alors je vais pas sur les bons ?) de blogueuses qui ne répondent pas aux commentaires. Alors attention, je sais qu'on a tous une vie à côté, qu'on n'a pas forcément le temps, ou qu'on sait pas forcément quoi dire, etc. que quand le commentaire fait trois pieds de longs ben répondre prend du temps, etc. Mais je connais des blogueuses par exemple qui reçoivent genre deux-trois commentaires pas très longs et ne répondent jamais jamais jamais jamais alors que souvent les réponses pourraient juste être "merci" donc ça casse pas trois-pattes à un canard. Bref. Mais ça va dans les deux sens ! Je suis assez étonnée de voir des blogs avec beaucoup d'abonnés, très suivis sur les réseaux sociaux, mais qui finalement ne reçoivent quasiment aucun commentaires ! Parce qu'on "aime" et c'est tout, je pense.

      Oui, c'est une source de business (ce que ne sont pas les commentaires, je ne crois pas que les marques regardent le nombre de commentaires). Et puis dès qu'on commence à avoir beaucoup d'abonnés ou des publications très vues, on est assaillis ! J'ai eu le malheur de répondre à un tweet d'une personne très suivie. Ma réponse a été retweetée presque 1 000 fois et aimée plus de 2 000 fois, sans compter les réponses, les réponses de réponses des réponses, etc. Pendant 3 jours je recevais des notifications toutes les 5 secondes ! C'est invivable ! x)

      "Il y a l'écran entre les humains et les sentiments" c'est joliment dit !
      L'image de l'extension est assez juste ! Je n'ai pas pensé à en parler, mais en faisant un remplacement dans un collège j'ai parlé à un élève de 3ème qui me disait qu'il était toujours pendu à son téléphone, que quand ils se voyaient entre amis c'était chacun sur ton téléphone, que quand il se réveille le matin il prend son téléphone, c'est son premier réflexe, et que tout ça lui pesait. Mais en même temps il n'arrive pas à arrêter !

      Et l'élément qui montre que non seulement on ne se parle plus mais en plus on a déjà perdu l'habitude de se parler (j'ai pas pensé à en parler dans l'article, tant pis, j'étais pas vraiment moi-même quand j'ai écrit, j'étais déprimée xD) c'est que maintenant quand on aborde une discussion sereine avec quelqu'un, la personne prend plein de précautions pour pas que tu lui sautes à la gorge (du genre "je vais dire quelque chose mais c'est que mon avis, hein, bien sûr tu fais comme tu veux, je veux juste te partager mon ressenti personnel" et blablabla) soit te remercie de pas lui avoir sauté à la gorge ! En mode "je suis contente de pouvoir discuter avec toi" et autres... à chaque fois que je lis ça, ça me rend super triste, parce qu'on devrait pas en être arrivés là !

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  2. un article qui fait sens pour moi et je laisse un premier commentaire du coup... je viens de temps en temps ici, mais moi j'aime pas débarquer comme ça, j'aime lire un blog depuis son départ don souvent je remonte, et c'est ce que je dois faire ici, entre temps je lis quand même un article ou deux qui est récent, comme celui ci.... et pour une fois je réagis!!!!!

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    1. Oh ! Eh ben merci de ton intérêt, alors ! Mais heureusement que mon blog n'a pas dix ans, sinon t'en aurais des choses à rattraper ! :P

      Pourquoi est-ce que cet article-là fait sens pour toi ?

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    2. oh tu sais cela ne m'aurait pas fait peur d'avoir dix ans d'articles à rattraper !!!!je l'ai déjà fait!
      L'article fait sens car j'aurais pu en parti l'écrire car je pense comme toi, j'ai eu des réflexions de ce genre sans pour autant le mettre par écrit et partagé comme toi!

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    3. Rooh lala tu m'impressionnes !! Mais ça a dû te prendre des plombes ! :O

      Je suis contente de pas être la seule à avoir ce genre de réflexions ! Des fois je me dis que c'est moi qui déraille !

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