samedi 9 avril 2022

Être devant

Source – Jonas Kakaroto
Aujourd'hui je suis allée à une formation sur les contes. C'était plutôt perturbant, parce que ça rentre en conflit avec tout ce que je suis : conter, c'est prendre sa place dans l'espace, dire au public "je vais vous raconter une histoire, c'est moi qui prends la parole, j'ai quelque chose à partager" ; c'est aussi être spontané, maîtriser son ton… Et moi je ne suis rien de tout ça.

Je suis tout sauf spontanée, pour commencer. Même si je me suis améliorée au téléphone, il y a quelques années encore, avant d'appuyer sur "appeler", je réfléchissais à ce que j'allais dire, j'anticipais la réponse de la personne, ma réponse, et sa réponse encore. Bien sûr, si ça ne se passait pas comme prévu, que je tombais sur le répondeur, j'étais un peu perdu (et donc j'ai commencé à appeler en sachant déjà ce que j'allais dire sur le répondeur). Maintenant, pour les conversations simples, ça va à peu près. Mais je suis toujours perturbée quand on sort du script général que j'avais imaginé ou attendu, et au final je raccroche tout sourire et toute gentille alors que j'aurais eu quelque chose à dire. Dans le même genre, quand j'ai un truc à dire à mon chef, une annonce, ou quoi que ce soit du genre, je théâtralise beaucoup dans le sens où je répète dans ma tête la manière dont je vais m'y prendre, je me mets dans la position d'un acteur qui répète, pour garder le contrôle (même si j'ai l'impression que c'est moins pire qu'il y a deux ans, quand j'ai écrit mon article là-dessus (ce qui est plutôt rassurant)). Je suis bien loin de l'esprit ample… Je suis beaucoup plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral. À l'écrit, j'ai le droit d'effacer, de raturer, et de recommencer. À l'oral, c'est dit ; c'est dit.

On a fait un exercice où je me suis retrouvée assise sur une chaise devant tout le monde (neuf personnes : loin d'être la fin du monde). Je ne saurais même plus vous dire ce qu'était l'exercice ou ce que j'ai dit. Mais je me souviens qu'à la fin, quand tout le monde est passé, le formateur a dit que ça, c'était pas facile. Que d'être devant, c'était pas facile. Et j'ai compris que c'était exactement ça, le problème.

C'est parce qu'être devant me pose problème que j'ai accéléré mon débit de parole, que j'ai fait un autre exercice un peu dans la précipitation, sans presque m'en apercevoir – moi je pensais être bien lente, comme il fallait – pour vite-vite éviter qu'on me regarde et d'être trop le centre de l'attention. Dans ma tête, je m'imagine conteuse, je sais que je peux raconter une histoire. Mais quand il faut la dire, pour de vrai et devant des vrais gens avec des oreilles, et pas devant un miroir, c'est tout de suite beaucoup plus dur.

À l'aïkido non plus, j'aime pas être devant. Parfois en fin de cours le prof nous fait "jiu waza" c'est-à-dire que, contre plusieurs adversaires qui passent chacun leur tour, on doit, sans s'arrêter (de préférence), faire les techniques qui nous passent par la tête. Sauf que tout le monde ne le fait pas en même temps : les débutants passent ensemble, puis les plus confirmés quand il y a assez de monde, mais dans tous les cas on fait des groupes. Dans ma ville actuelle, ça va encore parce qu'on est peu nombreux. Mais dans le club où j'étais il y a deux ans, avant le Covid, on pouvait être une dizaine. Une horreur ! Voilà que tout le monde va 1) me voir 2) voir que je suis nulle et que j'y arrive pas. Il doit y avoir la peur du jugement, derrière, quelque part…

C'est pour ça aussi que j'ai sauté un exercice de la formation ; celui où il fallait reconnaître et suivre le bruit de sa paire parmi les petits bruits des autres personnes. Ma paire m'a demandé si je voulais passer, j'ai dit non. Elle a eu la gentillesse et la bienveillance de pas me cafter quand le formateur a demandé si quelqu'un n'était pas passé (et les autres aussi, parce qu'elles devaient bien s'être rendues compte que j'étais pas passée). Je dois dire que je leur en suis reconnaissante. Je ne le sentais pas du tout. Être le centre de l'attention, et qu'en plus on me voit les yeux fermés… impossible. Et en plus, c'était tellement dur comme truc, j'étais sûre que j'allais foirer et comme toutes les autres avaient réussi, voilà les vieux complexes qui ressortent.

Être devant ça ne me dérange pas quand je suis assise au premier rang d'un amphi ou parmi les premiers rangs d'une salle de spectacle. Je préfère, même. Parce que c'est là, dans les premiers rangs, qu'on capte toute l'aura du prof ou du comédien, et c'est là que le spectacle est intéressant. Être perdu au fin fond d'un Zénith avec un comédien tooooouuuut petit qu'on est obligé de regarder sur un écran, ça n'a aucun intérêt, je ne comprends même pas qu'on puisse payer sa place pour ça… Autant regarder la télé.

Mais si c'est moi qui doit être sur la scène, oh lala…

Avant le Covid j'avais commencé des cours de théâtre. J'ai dû faire une ou deux séances et finalement ne pas prendre mon abonnement aux cours de la MJC puisque, si je me souviens bien, on nous annonçait plus ou moins un confinement. Mais le prof était super cool, le groupe était sympa, et j'aurais vraiment aimé continuer.

La deuxième partie de la formation est dans deux semaines. Il faut au moins ça pour me remettre ! J'irai, mais ensuite il me faudra une loooongue pause pour tout digérer !

6 commentaires:

  1. Combien de fois ai-je raccroché parce que je tombais sur le répondeur et que ce n'était pas ce que j'avais anticipé ! Je me suis aussi un peu améliorée, je crois, avec le temps, mais je déteste toujours téléphoner.

    Autant dire que je compatis tout à fait avec ce que tu racontes. Et pourtant, je suis prof ! Et être devant une classe (d'adultes) ne me pose aucun problème... peut-être parce que là, je sais que je maîtrise mon sujet.

    Courage pour la suite de la formation ;)

    PS : Oui, oui, je suis une revenante ;)

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    1. Il y a la maîtrise du sujet et puis je me demande aussi si la position de prof (qui enseigne et donc que l'on écoute (en principe)) n'est pas un peu différent de la position de l'acteur de théâtre, qui doit convaincre, attraper le public ou le laisser venir, mais dans tous les cas l'intéresser.

      Merci ! Ça tombe à la fin de mes vacances, alors que j'avais prévu de corriger mes romans ! Du coup, au lieu de 9 jours, j'en ai 8. C'est tendu (et encore plus si les tigres de poche se mettent à venir m'embêter ! :3))

      Contente de ton retour ! :DDD

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  2. C'est formidable que tu aies commencé cette formation, je t'envie ^0^. S'habituer à être devant est un travail très long. Les réflexes que tu as (le fait de répéter ce que tu vas dire) sont plutôt normaux quand on est pas à l'aise (et même quand on est à l'aise d'ailleurs). Alors ne t'en fais pas, si tu pratiques petits pas par petits pas, et assez régulièrement, le fait "d'être devant" te fera moins peur. :) Courage !

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    1. Y en a pas dans ton coin ? Quand t'auras fini tous tes concours tu pourras en faire une aussi ! :D

      Il y a aussi toute la question de la confiance en soi… la psy me l'a pointé...

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  3. j'ai souri... comme toi j'anticipe un coup de téléphone... et au final je me rends compte qu'il faut juste y aller au feeling dès que la personne te répond...
    on m'a toujours dit que j'étais timide et réservée... oui réservée... j'aime pas être le centre de l'attention, c'est tout...
    mais dès que je suis face à un public, je ne suis plus la même... j'oublie que je n'aime pas être au centre de l'attention... je m'imagine seule en fait... et surtout il faut croire à ce que l'on dit ça aide beaucoup à prendre confiance...
    quand j'étais petite, la grande timide de la classe, comme on m'appelait, j'arrivais à décrocher le premier rôle des pièces de théâtre quelle belle revanche !
    après je pense aussi qu'en vieillissant on a plus la même perception non plus...
    gamine jamais tu ne m'aurais fait aller acheter du pain à la boulangerie...
    maintenant je me surprends à tenir une conversation avec la vendeuse, et j'y suis souvent l'initiatrice...

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    1. Je trouve que le théâtre, justement, ça permet d'être devant sans que ça soit vraiment nous. On est dans la peau d'un personnage, on se montre mais à la fois on se "cache" derrière lui, et je sais pas c'est pas pareil que quand on est vraiment soi. Au collège on avait fait un peu de théâtre avec la prof de français, ça me gênait pas du tout de jouer le petit chaperon rouge. J'étais concentrée sur la scène, et ce qu'il y avait autour n'avait pas vraiment d'importance...

      Heureusement qu'on évolue avec le temps !

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