Source – Maria Tyutina |
Il y a quelque chose qu'a dit la psy qui revient souvent dans mes réflexions. Je lui ai parlé de cette amie que j'ai rencontrée sur le forum et avec qui nous discutons depuis maintenant plus d'un an. Nous avons quitté le forum pour Twitter, puis nous sommes passées à Whatsapp. Nous ne nous sommes jamais rencontrées parce que nous n'en avons pas eu l'occasion et, maintenant, elle est loin. Nous nous sommes eu au téléphone, mais jamais vues. La psy a parlé de relation fictive. Je n'ai pas aimé le terme, alors je me suis un peu fermée, j'ai essayé de me défendre, de dire qu'on s'est eues au téléphone. Je n'ai pas demandé ce qu'est une relation fictive, et internet n'est pas très bavard sur le sujet.
L'autre jour, je m'ennuyais. J'ai accepté l'ennui, je suis allée m'allonger dans mon lit j'ai laissé mes pensées divaguer un peu comme elles voulaient. Et j'ai réalisé qu'en fait, je n'ai que des relations fictives. Il me reste deux amies de fac, mais nous parlons par SMS ou téléphone, nous nous voyons peu : sont-elles devenues des relations fictives ? J'échange des mails et des messages privés à divers degré d'intimité avec une poignée de personnes, qui sont des relations fictives. Je lis des blogs, je parle à des blogueuses, aux commentatrices de mon propre blog, et ce sont des relations fictives. J'ai dans la tête mes fantasmes, ceux qui me font rencontrer un garçon, bien sûr, qui donnent lieu à une vie parfaite puisque contrôlée, et c'est une relation fictive. Un peu plus jeune, quand je marchais dans la rue, ça m'arrivais d'imaginer un chien à côté de moi. Parfois une personne, mais davantage dans l'intimité de la maison. Jamais très longtemps, juste une paire de minutes. Et puis j'ai mes personnages de roman aussi, ceux dont l'histoire est en cours d'écriture ou pas encore écrite. Ils sont fictifs.
En guise de vrais humains, je ne vois que mon chef, et ma collègue. La boulangère quand j'achète le pain. La fromagère et le maraîcher au marché. C'est tout. Ce sont des relations superficielles, juste le temps d'un bonjour et d'un sourire. Un sourire, cela fait beaucoup, mais ça ne fait pas tout.
Ce n'est pas tant de découvrir que je n'ai que des relations fictives, qui me dérange, que ce qu'il en résulte. Si toutes les personnes auxquelles je parle n'existent pas dans le sens où elles ne font pas vraiment partie de ma vie, il en résulte que je suis moi-même une relation fictive pour ces personnes. Du coup, c'est un peu comme si je n'existais pas vraiment ? Ma vie n'a pas davantage de retombées qu'une série télé ? D'un autre côté, j'avais lu que, quand on voit un smiley, on le ressent comme un vrai sourire (parce que le cerveau est con), et les émotions provoquées par une discussion réelle avec une personne sur internet sont réelles, elles aussi. Donc si les émotions sont réelles, alors il existe quelque chose ? Et si je provoque moi aussi des émotions et des sentiments réels alors je suis réelle ? C'est une question bête : je suis réelle, puisque je me vois, me sens, me touche, m'entends, me palpe et m'ausculte. C'est une question philosophique, et en même temps une vraie question. Comment sait-on, si on est réel ?
En fait, je ne sais pas trop comment me débattre avec cette notion de relation fictive. J'aurais mieux fait de ravaler ma fierté – ou ma peur ; celle de ne pas avoir la vraie amie, la vraie personne à qui me confier, que je pensais avoir trouvée – et demander franchement à la psy ce que c'est, exactement, une relation fictive. Je la vois dans pas longtemps, mais ce n'est pas de ça dont je voudrai parler à ce moment-là. Il y a un peu plus urgent, avec mon corps. De toute manière, tous les problèmes sont liés, c'est un gros sac de nœuds : tirez sur un bout et vous agissez sur l'autre côté.
J'ai trouvé sur un site une jeune personne d'à peu près mon âge qui imagine une vie future, elle aussi. Une des psy qui a répondu a dit que c'était un mécanisme de défense. Je sais bien. J'ai toujours fait ça. le soir dans mon lit, mais aussi bien éveillée, au lycée, quand je voyais tous les autres autour de moi avec leurs amis et que j'étais toute seule parce que je n'avais pas su me faire aimer, ou intéresser, ou je ne sais pas. Je ne sais pas trop me lier aux gens et rencontrer des gens. Je sais bien, que c'est un mécanisme de défense, un refuge, un petit endroit où tout se passe bien pour échapper à la réalité un peu fade, imparfaite, trop difficile à démêler. Et plus ça va, plus je m'y enferme, je crois.
C'est un peu dur, de se dire que les relations sont fictives. Si elles sont fictives, elles sont fausses, imaginées. Si elles sont imaginées, elles n'existent pas vraiment. Et donc, si elles n'existent pas vraiment, tous ces amis que je crois déjà avoir ou pouvoir me faire ne sont que des spectres. C'est drôle, d'ailleurs, il y a deux membres du forum avec qui je me dis que l'on s'entendrait sans doute bien, mais maintenant je me répète : "calme-toi Énir, ce sont des relations fictives".
Je trouve plus facile de rencontrer des gens sur internet. Plus facile de dire des choses un peu intimes, puisque personne ne nous regarde. J'ai balancé ici que je suis vierge, je l'ai balancé sur le forum aussi, à titre d'exemple à quelque chose que j'expliquais, mais je ne le dirais jamais devant un amphithéâtre de gens qui me regardent et m'écoutent. C'est plus facile sur internet, parce que l'on ne voit pas les gens. On parle à tout le monde et personne à la fois. Au final, on se parle beaucoup à soi-même. Les gens nous jugent mais on ne sait pas toujours ce qu'ils pensent. La plupart du temps, d'ailleurs. C'est plus facile d'aller tout de suite dans les sujets intimes, et donc on se lie aux gens plus vite. Parce que de toute façon, même s'ils trahissent l'espèce de confiance que l'on met en eux, à qui vont-ils répéter toutes ces choses ? À des gens que l'on ne connaît pas et qui ne nous connaissent pas. Ce sera : "une fille sur un forum a dit que". Une fille sur un forum pourrait très bien être un monsieur qui a coché la case "femme". Ou une vieille dame qui s'est rajeunie. Après tout.
Mon amie m'a dit ça, d'ailleurs ; heureusement que je ne connaissais personne de son entourage, parce que ce serait vraiment très gênant. Je me le dis parfois aussi. Mais si la confiance est protégée d'un filet de sécurité, est-ce de la vraie pure confiance ?
Alors voilà, je suis en relation avec de la fiction, avec toutes les projections que je fais pour protéger mon ego, mon moi ou je-ne-sais-quoi, pour fuir, parce que la fuite, c'est bien. Des fois, j'imagine ce que ça ferait si les gens avec lesquels on parle sur internet ne sont en fait que des algorithmes. Ce serait un chouette scénario de dystopie.